La Ligue de football professionnel (LFP) a publié il y a quelques semaines le toujours très attendu rapport annuel de la Direction nationale de contrôle et de gestion (DNCG). Aux Etats-Unis, les citoyens ont le discours du Président sur l’état de l’Union. En France, nous avons le rapport de la DNCG ! Ce dernier permet de prendre le pouls du football professionnel en France. Basé sur les bilans des clubs pour la saison 2007-2008, il reste positif. Ainsi, le chiffre d’affaires cumulé des quarante clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 s’élève à 1,211 milliard d’euros, en légère hausse par rapport à la saison précédente (1,178 milliard d’euros). Le résultat net, pour la troisième année consécutive, est positif à 26,9 millions d’euros. Mais en L1 comme en L2, les bénéfices sont en forte diminution. C’est là que le bât blesse : la crise aidant, cette saison pourrait marquer un net recul des résultats financiers.
Dans le détail, la Ligue 1 a enregistré un résultat net de 25 millions d’euros en 2007-2008, contre 43 millions d’euros en 2006-2007. En Ligue 2, le résultat net est positif pour la quatrième saison, à 1,9 million d’euros contre 4 millions d’euros en 2006-2007. Lors de la saison 2006-2007, les 40 clubs professionnels avaient dégagé un résultat net de 46,9 millions. Un an plus tard, la chute est vertigineuse : -43%.
Les salaires des joueurs absorbent 85% des recettes
Si les bénéfices du football professionnel se dégradent, c’est avant tout sous l’effet de la poussée des salaires des joueurs. La masse salariale dérive fortement écrit noir sur blanc la Direction nationale de contrôle et de gestion (DNCG). Les salaires des joueurs absorbent désormais 85% des revenus des clubs contre 77% un an auparavant ! Les clubs français étaient déjà hors jeu sur ce point, ils sont maintenant totalement hors sujet. Pourtant, nous étions prévenus. Un ex-président de Ligue 1 nous avait alertés sur ce point il y a quelques mois en nous signalant que la hausse des droits de retransmissions (effective cette saison) s’était aussitôt traduite par une hausse des salaires des joueurs. Je suis obligé de surpayer des joueurs moyens, sinon ils vont voir ailleurs, nous expliquait-il. La masse salariale (rémunération + charges sociales) continue sa forte progression à +13%, sur 2007-2008. Cela représente une dépense supplémentaire de plus de 80 millions d’euros pour les clubs de L1.
Salaire mensuel moyen des joueurs : 47.762 euros
Les revenus moyens mensuels des joueurs ont progressé de 6.000 euros en un an, pour atteindre 47.762 euros. L’Hexagone est encore loin des sommes astronomiques de la Premier League, où le salaire moyen atteint plus de 150.000 euros. Mais les pontes de la DNCG n’ont pas chassé de leur mémoire le cercle vicieux des années 1990 qui avait entraîné le championnat dans une spirale déficitaire. Les dépenses engagées par les clubs suivent un rythme élevé de progression égal à celui des recettes, écrivent les rapporteurs de la DNCG. Ces dépenses sont composées à hauteur de 1.050 millions d’euros du coût des équipes et 414 millions d’euros de frais généraux. L’inflation des salaires et des amortissements des indemnités de mutation a été notable car en trois saisons, ce poste est passé de 68 à 71% des recettes compétition. Ces dépenses sont peu flexibles à la baisse en cas de chute brutale des recettes. Et pour cause, puisque la durée moyenne des contrats professionnels était de 2,2 ans à la fin de la saison 2007-2008.
En acceptant d’entrer dans cette surenchère, les comptes auraient pu dériver encore plus dangereusement et retomber dans le négatif. Mais les clubs français ont une deuxième botte secrète. Non seulement ils vendent très cher leurs produits (championnats et Coupe de la Ligue) aux télévisions (NDLR : les droits audiovisuels de la Ligue 1, pour la période 2008-2012, représentent 668 millions d’euros par an, en moyenne sur quatre ans contre 640 millions d’euros par an en moyenne sur les trois années précédentes), mais ils sont aussi exportateurs de joueurs. Si les comptes des clubs sont encore dans le vert, ils le doivent aux plus-values réalisées sur le marché des transferts, près de 300 millions en 2007-2008 (265,9 millions d’euros pour la L1 et 31,5 millions pour la L2), en hausse de 67% par rapport à la saison précédente ! Sur la saison 2007-2008, la Ligue 1 a vendu à l’étranger pour presque 162 millions d’euros, n’achetant que pour 91,3 millions. La balance est largement bénéficiaire. Même la Ligue 2 profite de la tendance française en dehors des frontières, avec 15 millions encaissés pour 5,7 millions d’achats. Les opérations de transfert de joueurs, entre clubs français et étrangers, ont été positives pour les clubs français à hauteur de 80 millions d’euros, les transferts franco-français ont pour leur part été particulièrement actifs, commente Frédéric Thiriez, président de la LFP. Ces bons chiffres ne doivent pas dissuader les clubs de maîtriser leurs transferts dans cette période délicate de crise économique globale, alors même que les droits télé sont garants d’une certaine sécurité. En effet, la masse salariale des clubs augmente et le retour sur investissement des projets de stades ne se fera que dans plusieurs années.
La situation pourrait donc changer. Chaque année, la Ligue 1 perd ses éléments les plus performants. Or les très bons clients de la L1 – on pense en premier chef aux clubs anglais – n’ont plus forcément les reins aussi solides qu’auparavant. Alors que l’endettement global est de 120 millions d’euros pour les clubs français, celui-ci est de 4 milliards en Grande-Bretagne. Vont-ils animer le marché des transferts comme ils le font chaque année ? Rien n’est moins sûr. Et si le Real Madrid change de président et se lance à l’assaut de plusieurs stars, les transactions vont-elles influencer le marché français ?
Un élément de réponse se trouve peut-être dans les sélections de Raymond Domenech. Il y a peu, la majorité des sélectionnés évoluaient à l’étranger. Le made in L1 était l’exception. Aujourd’hui, les joueurs de Ligue 1 effectuent un retour en force. Et l’on constate que les attaquants, les joueurs les plus convoités sur le marché des transferts, évoluent presque tous en France. Dans le dernier groupe France, Domenech a convoqué Karim Benzema, Pierre-André Gignac et Guillaume Hoarau, ainsi que Peguy Luyindula et Loïc Rémy. Sans Nicolas Anelka, Thierry Henry devait se sentir bien seul pour représenter la colonie étrangère. Si ces joueurs évoluent toujours dans le championnat de France, n’est-ce pas le signe que les clubs étrangers ont (déjà) réduit leurs investissements ?
Dans le contexte de morosité ambiante, peu de secteurs peuvent se prévaloir d’un tel taux de croissance note le rapport annuel de la DNCG. Certes, mais il ne faudrait pas oublier que le rapport s’attache à établir la situation à la fin de la saison 2007-2008, soit au 30 juin de l’année dernière. La crise, la vraie, n’était pas encore d’actualité. Président de la DNCG, François Ponthieu note par ailleurs une capacité d’autofinancement négative d’environ 100 millions d’euros budgétée pour 2008-2009, ou encore un résultat hors mutations déficitaire de plus de 250 millions d’euros, alors que les possibilités de plus-values sur mutations ne seront sans doute pas du même niveau lors des saisons à venir. Pour le coup, le président de la DNCG se montre plus pessimiste peut-être que nous. Pourtant, pour la saison en cours, la DNCG table sur un bon exercice en raison de la renégociation récente des droits de diffusion et de l’attractivité justement des joueurs du championnat de France. Pour 2008-2009, le volume d’activité est projeté stable aux environs de 1,5 milliard d’euros pour des dépenses en faible croissance laissant un résultat proche de zéro, parie la DNCG. Les prévisions pour la saison se terminant le 30 juin sont déjà réalisées à 80%, précise-t-elle.
Si l’on excepte les transferts, les revenus des clubs proviennent de trois sources principales :
– pour 60% des droits audiovisuels, comprenant une part variable liée au classement du club en Ligue 1.
– pour 21% des sponsors et des revenus publicitaires (NDLR : les recettes liées au sponsoring ont augmenté de 25% pour passer à 243 millions en L1 et L2).
– pour 14% des recettes liées aux matches (notamment la billetterie).
La locomotive, c’est Lyon
Sans surprise, l’Olympique Lyonnais, champion de France depuis sept ans, est le club français qui a gagné le plus d’argent en 2007-2008. Son résultat net de 20,069 millions d’euros, écrase celui de son premier poursuivant, l’Olympique de Marseille (8,209 millions d’euros). D’ailleurs, le poids économique de l’OL devient presque gênant. Pour la saison 2007-2008, le club rhôdanien représente pas moins de 64% du résultat net cumulé des 20 clubs de Ligue 1. Cela laisse songeur. L’OL, c’est aussi 50% de la trésorerie nette des 20 clubs de L1, avec 100,5 millions d’euros. Vous en voulez encore ? Sans l’OL, il faudrait retirer 47% des capitaux propres des 20 clubs de L1, avec 164,8 millions d’euros. L’OL, c’est enfin 31% du montant total des acquisitions de joueurs durant la saison, avec 78,3 millions d’euros investis. Jean-Michel Aulas a raison : tout le football français devrait être supporter de l’OL lors de ses campagnes européennes. Car sans son moteur économique, la L1 prendrait un sacré coup derrière la tête.
Seuls cinq pensionnaires de Ligue 1 ont été déficitaires la saison passée : Sochaux, Toulouse, Monaco et surtout Lens (-6,162 millions d’euros), relégué en L2, et le Paris SG, traditionnel bonnet d’âne dans ce classement (-12,282 millions d’euros).
Le PSG, bonnet d’âne
Le club parisien, qui a pourtant diminué ses pertes (-18 millions un an plus tôt) est incorrigible. Si la dernière place au Tour de France était autrefois très recherchée, les performances économiques du club parisien sont à proscrire. Les travers des années Canal Plus perdurent malgré les promesses d’un retour à l’équilibre chaque année. Et malgré un objectif affiché de maîtrise des coûts, le PSG ne cesse de voir sa masse salariale augmenter. De 41 millions d’euros en 2004-2005, elle est passée à 51,8 millions d’euros la saison dernière. Et pour la saison 2008-2009, le PSG ne devrait pas davantage respecter le budget de 50,4 millions d’euros présenté à la DNCG. Sur l’ensemble de la saison, le PSG prévoit 19,3 millions d’euros de pertes, hors cession de joueurs. Visiblement, personne au PSG n’a encore trouvé comme appliqué le triangle magique de Jean-Pierre Louvel, président du Havre AC et de l’Union des clubs professionnels de football (UCPF) : une gestion de qualité des dirigeants marquée par un faible endettement et le renforcement des capitaux propres, un accent mis sur la diversification et la croissance des revenus, des structures de contrôle telle que la DNCG qui joue pleinement leur rôle et assure la transparence des flux économiques et financiers. Plus facile à dire qu’à faire, visiblement…