Dans une tribune publiée par Les Échos, un collectif réunissant différents acteurs s’inquiète de la banalisation des jeux d’argent en France, notamment des paris sportifs en train de vivre leur « âge d’or ».
Politique (Stéphane Troussel est le président du Département de la Seine-Saint-Denis), acteur engagé (Emmanuel Benoit est le directeur général de l’Association de recherche et de prévention des excès du jeu, l’Arpej) ou concerné au premier chef (Isabelle Falque-Pierrotin est la présidente de l’Autorité nationale des jeux), les signataires de cette tribune collective décrivent une situation paradoxale. « Pour la quasi-totalité des Français, les enfants qui jouent aux jeux d’argent risquent de développer une addiction. Et pourtant, un quart d’entre eux leur ont déjà offert des jeux de grattage », constatent-ils. « Malgré l’interdiction de vente de jeux d’argent aux mineurs, dans les points de vente comme sur Internet, plus d’un tiers des adolescents de 15 à 17 ans avaient déjà joué à des jeux d’argent », relève encore la tribune. Et de s’interroger :
« comment, en dépit de la perception des risques […] la banalisation des jeux d’argent s’est-elle ancrée ? » Selon une étude récente, un tiers des 15-17 ans joue, avec un âge de départ à 13/14 ans. Fans de paris sportifs, ces jeunes sont une cible facile pour une myriade de sites illégaux, en particulier de casino en ligne. Ces sites pourraient capter jusqu’à 1,5 milliard d’euros de mises annuelles.
Ainsi, il ressort des données issues de l’Indice canadien du jeu excessif (ICJE) communiquées par la Française des Jeux que, pour la première fois depuis 2020, la proportion des joueurs excessifs et problématiques est en augmentation en 2024 par rapport à 2023, alors que ces proportions étaient demeurées stables entre 2020 et 2023.
La légalisation des paris sportifs a sa part de responsabilité. Le marché est en forte croissance depuis 10 ans, notamment chez les plus jeunes. Ce sont par exemple 38 M€ qui ont été misés en ligne lors de la finale de la Ligue des Champions (PSG-Inter Milan) et 15 M€ pour la finale de Roland-Garros (Carlos Alcaraz/Jannik Sinner), un record ! « Avec le numérique, le jeu d’argent est aujourd’hui à portée de main immédiate et permanente », dit la tribune.
« Les stratégies commerciales déployées par les opérateurs […] ont conduit à une surreprésentation du jeu d’argent : publicités, large couverture médiatique des gros lots et des grands gagnants, sponsoring », ajoutent ses auteurs.
Plus largement, continuent-ils, « pour les jeunes, les paris sportifs sont souvent vécus comme une activité sociale qui valorise la performance individuelle et fait miroiter le mirage de l’argent facile. »
Il y a plus de trois ans, l’ANJ avait interdit la campagne de Winamax « Tout pour ma daronne », estimant qu’elle véhiculait le « message selon lequel les paris sportifs peuvent contribuer à la réussite sociale ». Sans inverser une tendance de fond.
Divers leviers à actionner
La tribune appelle à « retarder autant que possible la première rencontre des jeunes avec les jeux d’argent ». Au-delà d’actions d’accompagnement, de prévention et de sensibilisation, elle propose au législateur de
« contraindre davantage la publicité et le sponsoring ». L’Italie l’a bannie complètement, mais les opérateurs ont réussi à contourner l’interdiction. En revanche, la Grande-Bretagne prohibe la publicité cinq minutes avant un match, pendant le match, et cinq minutes après. « Un plafond de pertes ou de mises pour les jeunes de 18 à 25 ans pourrait aussi être envisagé ». Enfin, « un volet coercitif doit compléter ces propositions, avec le renforcement des contrôles de l’interdiction de vente aux mineurs dans les points de vente physiques aujourd’hui insuffisant ».
Les signataires de la tribune :
- Stéphane Alexandre est le président de la Ligue de l’enseignement de la région Ile-de-France.
- Emmanuel Benoit est le directeur général de l’Arpej (Association de recherche et de prévention des excès du jeu).
- Catherine Delorme est la présidente de la Fédération addiction.
- Isabelle Falque-Pierrotin est la présidente de l’Autorité nationale des jeux.
- Isabelle Lafargue est l’ancienne secrétaire générale de la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP).
- Thomas Rohmer est le directeur et fondateur de l’Open (Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation).
- Bernard Tranchand est le président de l’Unaf (Union nationale des associations familiales).
- Stéphane Troussel est le président du Département de la Seine-Saint-Denis.
Quand l’ANJ sanctionne
En mars dernier, l’ANJ a sanctionné Unibet (racheté par la Française des Jeux, ndlr) à hauteur de
800.000 €, la plus lourde amende qu’elle ait jamais prononcée. En cause ? « Des dysfonctionnements répétés » du « dispositif d’auto-exclusion censé prévenir le jeu excessif » chez Unibet. La commission des sanctions de l’ANJ a également prononcé une nouvelle sanction pécuniaire de 75.000 € à l’encontre d’un opérateur agréé (non cité) de jeux et paris en ligne pour « manquement à ses obligations d’archivage en temps réel et de mise à disposition permanente des données relatives aux opérations de jeu réalisées par ses clients » au titre des années 2022 à 2024. Les opérateurs de jeux ou paris en ligne agréés sont tenus de procéder à l’archivage en temps réel de l’ensemble des données de jeu de leurs clients ainsi que celles relatives aux comptes joueurs. Ces données doivent être mises à disposition permanente de l’ANJ afin qu’elle puisse contrôler l’activité des opérateurs agréés. L’ANJ peut examiner et utiliser ces données afin, notamment, de rechercher et identifier tout fait susceptible de constituer une fraude ou de relever du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.