Pour la première fois de l’histoire, des sites olympiques porteront officiellement le nom d’entreprises partenaires. Los Angeles 2028 annonce l’ouverture de contrats de naming pour ses enceintes sportives, bouleversant les règles commerciales du Comité international olympique (CIO). La décision marque une étape clé dans la financiarisation du mouvement olympique et illustre le modèle américain : des Jeux 100 % financés par le privé.
À Paris 2024, comme lors des Jeux précédents, les marques avaient dû disparaître des enceintes olympiques. Exit l’Adidas Arena ou le Groupama Stadium, comme l’Orange Vélodrome. À Los Angeles, elles seront, au contraire, mises en avant. Le Honda Center ou encore le Comcast Squash Center figurent déjà parmi les premiers sites nommés. « Ces partenariats révolutionnaires (…) ne vont pas seulement générer des revenus importants pour LA28, mais aussi introduire une nouvelle pratique commerciale au bénéfice de l’ensemble du mouvement », selon Casey Wasserman, président de Los Angeles 2028. Au moment de déterminer l’ordre des Jeux 2024 et 2028 entre Paris et Los Angeles, la partie américaine avait facilement cédé la politesse à la capitale parisienne. On découvre pourquoi depuis la fin de Paris 2024. LA28 avait préparé le terrain.
Casey Wasserman annonce donc « le tout premier programme de droits de dénomination de sites dans l’histoire olympique et paralympique ». Concrètement, certaines enceintes conserveront ou adopteront un nom de marque pendant la quinzaine olympique – une pratique courante aux États-Unis, mais jusqu’alors proscrite par le CIO. L’annonce est loin d’être anecdotique. Elle incarne un virage stratégique assumé : faire des Jeux de 2028 un événement 100 % financé par des fonds privés. L’objectif est affiché : 2,5 milliards de dollars de recettes commerciales, presque le double des Jeux de Paris 2024.
Une logique américaine, un précédent pour l’olympisme
Aux États-Unis, le naming fait partie de l’ADN du sport business. Le Honda Center à Anaheim, qui accueillera le volley-ball, ou encore le Comcast Squash Center des Universal Studios, sont déjà identifiés. À Los Angeles, le SoFi Stadium – rebaptisé pour l’instant « 2028 Stadium » – est pressenti comme l’un des actifs les plus convoités, puisqu’il recevra la natation en deuxième semaine, ainsi que les cérémonies d’ouverture et de clôture.
Avec une carte en plus dans son jeu, le CIO dispose d’un nouvel argument afin de convaincre les villes hôtes qui peuvent se montrer frileuses face au gigantisme des Jeux olympiques. Avoir des sponsors qui peuvent afficher leur nom sur des stades olympiques offre une sécurité financière en plus.
Los Angeles, laboratoire économique du mouvement olympique
Ce n’est pas un hasard si cette rupture intervient à Los Angeles. Déjà en 1932, en pleine Grande Dépression, la ville avait organisé les premiers Jeux financés sans soutien public, qualifiés par certains d’« olympiades Coca-Cola » avant même les Jeux d’Atlanta de 1996. En 1984, Los Angeles avait imposé un modèle de sponsoring intensif et de droits TV qui fit école pour organiser les premiers Jeux rentables de l’histoire. En 2028, l’histoire semble se répéter : Los Angeles s’affirme une nouvelle fois comme laboratoire de la marchandisation olympique.
Des opportunités, mais aussi des limites
Tous les sponsors ne pourront pas se positionner. Les partenaires du programme TOP, cercle restreint de multinationales offrant une exclusivité mondiale, conservent la priorité. Impossible donc pour un assureur de concurrencer Allianz, déjà partenaire olympique global. Le naming pourrait ainsi renforcer le poids des géants existants plutôt que diversifier le portefeuille commercial du CIO. Mais est-ce ce que cherche vraiment l’institution ? Ce mouvement interroge aussi sur l’équilibre entre tradition et spectacle. L’ouverture du naming marque l’abandon définitif de l’exception olympique en matière de visibilité commerciale.
Désormais enclenchée, la dynamique du naming paraît difficile à inverser. Après Los Angeles, il sera compliqué pour le CIO de revenir en arrière. Les Jeux d’hiver de Milan-Cortina 2026 devraient être les derniers à se tenir sans partenaire-titre autour des enceintes. Pour les futures villes candidates, ce nouveau levier pourrait représenter une garantie de viabilité économique. Si cette pratique devait se généraliser, elle transformerait en profondeur la relation entre partenaires commerciaux, villes hôtes et mouvement olympique. Au-delà de l’innovation marketing, ce choix interroge l’équilibre entre valeurs olympiques et logiques commerciales. L’intégration du naming illustre la bascule d’un modèle où les États étaient jadis les garants financiers, vers un système dominé par les multinationales.