748,5 millions d’euros par an ! Du jamais vu en France. Le football professionnel a crevé ses plafonds en anticipant son appel d’offres pour les droits de retransmissions de la Ligue 1 (726,5 M) et de la Ligue 2 (22 M) pour la période 2016-2020. Une victoire totale pour la Ligue de football professionnel (LFP) et son président, Frédéric Thiriez. Pourtant, à voir la mine des dirigeants et les commentaires des uns et des autres, on pourrait croire qu’ils ont perdu leur pari. Explications.
Ils voulaient de la visibilité, ils vont en avoir. A compter de ce mois d’avril et jusqu’en juin 2020, les présidents de club connaissent le montant le plus important de leur ligne de recettes : les droits de retransmission. Au terme d’une procédure accélérée et d’un ingénieux système d’enchères, conduit le vendredi 4 avril par la Ligue de football professionnel et son cabinet d’avocats Clifford Chance, le football professionnel a donc récolté 748,5 millions d’euros par an pour les quatre années du contrat entre 2016 et 2020. Un record. C’est en deçà du chiffre de 750 millions d’euros opportunément divulgué par la LFP quelques jours avant le jour J. Mais cela reste tout de même du jamais vu pour le football français. Frédéric Thiriez peut avancer que la France est de retour sur le podium européen des droits TV. A très bonne distance de l’Angleterre qui explose le milliard d’euros et à bonne distance de l’Italie et ses plus de 800 millions d’euros annuels, mais sur le podium tout de même. Au niveau de l’Espagne et devant l’Allemagne. Cette somme se rapproche de ce que l’on attendait, explique le président de la LFP. Les écarts ont été très sensibles dans les offres de chacun sur les lots 1 et 2 sur le lot 3 ce qui a rendu nos décisions plus faciles. Je voulais un championnat sur le podium des trois meilleures nations européennes, je pense que nous y sommes arrivés, devant l’Allemagne et au niveau de l’Espagne. Personne n’a osé se demander si la Ligue 1 et la Ligue 2 valaient effectivement cette somme. Peu importe puisque Canal+ et beIN Sports ont joué le jeu. Les deux chaînes concurrentes ont écrasé les enchères. Tout pour elles, rien pour les autres. Eurosport est le grand perdant de l’opération. Son match de Ligue 2 du lundi soir passe sur Canal+. La chaîne qatarie diffusera le reste de la Ligue 2 moyennant 22 millions d’euros par an. L’appel d’offres est arrivé sans doute trop tôt pour la chaîne omnisports alors que sa gouvernance est partagée entre TF1 et l’Américain Discovery.
Grands gagnants de ces enchères ? Les clubs. Avec un montant total de 748,5 millions d’euros par an, jamais ils n’avaient atteint une telle valorisation. Frédéric Thiriez aussi. Le président de la LFP a marqué des points importants et se repositionne comme le personnage central du football professionnel. Canal+ a gagné également. Après avoir contesté juridiquement la procédure, la chaîne cryptée s’est taillée la part du lion, repoussant beIN Sports.
4 more years. Rodolphe Belmer, directeur général adjoint du groupe Canal+, a été le premier à dévoiler le résultat de l’appel d’offres sur son compte Twitter. Canal+ a obtenu les lots 1 et 2, les plus prestigieux. C’est-à-dire les trois meilleures affiches de chaque journée de championnat (il serait plus juste de dire les trois premiers choix, ndlr), ainsi que les magazines du samedi et du dimanche soir, Jour de foot et Canal Football Club aujourd’hui. Canal+ conforte non seulement sa position, mais la renforce également. La chaîne passe de deux à trois diffusions en chipant le rendez-vous du vendredi soir à beIN Sports. Il s’agit sans doute de la plus grande surprise de cette consultation. Alors que Canal+ renforce sa position de diffuseur premium de la Ligue 1, beIN Sports s’est étrangement laissée passer devant. La chaîne qatarie continuera de diffuser de la Ligue 1 avec sept rencontres par journée, mais elle devra se contenter des matchs délaissés par Canal+. A ses sept rencontres en direct, plus trois grands matchs en différé, beIN Sports a également obtenu un multiplex pour les journées 19, 37 et 38, les magazines de la semaine, ainsi que tous les matchs en quasi-direct, une dernière offre destinée à la base à un opérateur mobile. Quel en sera l’usage de beIN Sports ? Mystère encore. Quantitativement, beIN Sports ne perd qu’un seul match par rapport au contrat en cours. Qualitativement en revanche, le Paris SG ne devrait pas évoluer souvent devant ses caméras.
La concurrence à long terme est préservée
La LFP a réussi à préserver la concurrence entre les deux opérateurs. En cas de perte importante des droits, la question de la survie de Canal+ se serait sûrement posée. Attaqué sur son point fort, le cinéma, par les nouveaux opérateurs, Canal doit également subir les attaques de beIN Sports sur sa deuxième jambe, les droits sportifs. Canal+ sécurise son portefeuille d’abonnés (5,5 millions), dont la moitié environ est motivée par le football, ainsi que le montant de l’abonnement (40 euros par mois environ). Notre offre s’enrichira, dans la continuité du partenariat qui nous lie avec le football français, tout en améliorant notre offre actuelle, a sobrement réagi Cyril Linette, directeur des sports et des acquisitions de Canal+.
Les clubs pros restent sur leur faim
Malgré ce tableau somme toute idyllique pour les clubs, les présidents avaient le triomphe modeste. Le choix d’avancer la procédure était justifié par le besoin des quarante clubs professionnels de sécuriser leurs recettes pour plusieurs saisons, mais aussi de faire jouer la concurrence entre Canal+ et beIN Sports. Ils ont effectivement obtenu plus d’argent (141 millions de plus que l’appel précédent), mais ont-ils obtenu le maximum comme ils l’espéraient? Coprésident de l’AS Saint-Etienne et vice-président de la LFP, Bernard Caïazzo résume le sentiment des présidents : C’est un demi-succès. On espérait plus. On pensait assister à une grosse bataille entre beIN Sports et Canal+ mais elle n’a pas eu lieu. Nous n’éprouvons pas d’insatisfaction mais pas deuphorie non plus. C’est correct sans être exceptionnel, beaucoup de présidents de clubs s’attendaient à plus. A-t-il fait le même calcul que nous ?
5 millions de plus par club, guère plus
Le niveau atteint, même s’il est record, n’autorise aucune folie. Une fois déduits les 5% de la taxe buffet, le reversement de la Ligue au football amateur et aux familles du football (syndicat des joueurs notamment) et une fois appliqué le partage à 81/19 entre la Ligue 1 et la Ligue 2, combien restera-t-il effectivement ? Le surplus par club de Ligue 1 devrait se situer autour de cinq millions d’euros par an. Peut-être un peu plus. Mais pas de quoi concurrencer le Paris SG ou l’AS Monaco. Ça ne fait pas rêver, cela représente à peine de quoi couvrir notre déficit, pronostique Jean-Louis Triaud, le président des Girondins de Bordeaux. On pensait pouvoir avoisiner les 890 millions d’euros, se situer aux alentours des 900 millions pour compenser les 200 millions d’euros de pertes qu’on doit prendre en charge depuis des mois mais beIN Sports n’est pas monté au créneau, constate Bernard Caïazzo. C’est à dire 540 millions d’euros en cumulé pour Canal+, contre 186,5 millions pour son concurrent.
On ne comprend pas pourquoi beIN Sports n’est pas allée à la bagarre. Soit ils se réservent pour la Ligue des champions, soit il y a eu des pressions politiques… se hasarde un autre président de club de Ligue 1. La supposition puise sa force dans le lobbying des producteurs du cinéma français en faveur de Canal+. Cette dernière chaîne finance en effet le cinéma français au prorata de son chiffre d’affaires, et donc de son portefeuille d’abonnés. Avec ce résultat, je reste un peu sur ma faim, soupire Jean-Pierre Rivère, le président de l’OGC Nice. Je pense qu’on pouvait obtenir plus que ça.
Frédéric Thiriez préfère voir le verre à moitié plein. Le marché a parlé. Le prix a été fixé par les acquéreurs après une concurrence loyale. Avec cette augmentation de 20%, la France est sur le podium européen, à la place qu’elle mérite. Nous sommes heureux de conserver nos deux partenaires principaux. Nos clubs et nos diffuseurs vont avoir la visibilité dont ils avaient besoin.
A court terme, cela ne change pas grand chose, mais cela donne de la visibilité vis-à-vis des banques, des investisseurs, estime Jean-Michel Aulas, le président de l’Olympique Lyonnais, dans L’Equipe. On a la certitude qu’au-delà des deux prochaines saisons les droits ne vont pas s’effondrer. Et ils arrivent après l’Euro 2016, pour lequel les clubs ont fait des investissements importants dans leurs stades. Le plus important pour les clubs commence sans doute maintenant. Les droits TV ne doivent plus être considérés comme de la morphine administrée à un malade pour calmer sa douleur. A chaque augmentation précédente des droits, l’argent s’est envolé dans les salaires des joueurs. Les clubs ne peuvent plus s’exonérer d’adopter les bonnes pratiques : augmenter les recettes de la billetterie, du marketing et du merchandising. Ils voulaient de la visibilité sur leurs recettes, ils auraient également besoin d’avoir de la visibilité sur leurs dépenses.
Il y a eu beaucoup d’excès en matière de rémunération de joueurs, voire de transferts, reconnaît Jean-Michel Aulas. Il faut revenir à un modèle cohérent, avec des comptes d’exploitation équilibrés et donc augmenter les recettes en limitant la masse salariale. On espère faire baisser la part de la nôtre à 50-55% du chiffre d’affaire, ce que prévoient tous les modèles économiques du fair-play financier.
Cette hausse est un rayon de soleil pour Jean-Pierre Louvel, président du Havre (Ligue 2) et président de l’Union des clubs professionnels de football (UCPF). Nous sommes en pleine crise sur le DIC, sur la taxe à 75%, sur les charges qui comme dans toutes les entreprises ont augmenté, sur des droits TV en baisse sur les deux prochaines saisons. J’ajouterai à cela que les clubs sont en perte d’exploitation depuis quatre ans. Ce n’est pas une manne financière pour faire n’importe quoi, ajoute le président du syndicat des clubs.
Le mot de la fin revient à Jean-Michel Aulas : Quand on fait l’addition globale, sur les quatre ans, on dépasse largement les 3 milliards d’euros. Trois milliards d’euros…
Les droits de retransmission des principaux pays
Angleterre 1220 M/saison (2013-2016) : Sky/British Telecom
Italie 829 M (2012-2015) : Sky Italia/Mediaset
France 726,5 M (2016-2020) : Canal+/beIN Sports
Espagne 676 M (jusquen 2016) : Mediapro/Prisa
Allemagne 628 M (2013-2017): Sky
Lots Montant(en_M)
Lot 1_Canal+ 265
Lot 2_Canal+ 275
Lot 3_beIN_Sports 160
Lots 4,_5_et_6_beIN_Sports 26,5