Pour avoir fait partie de la direction de Rossignol, Bruno Cercley connaît parfaitement l’entreprise qu’il vient de racheter à l’Américain Quiksilver (pour 100 millions d’euros, dont 75 millions en numéraire) et le spécificité du marché des sports d’hiver. Il se donne trois ans pour redresser les comptes d’une marque symbole pour les Français et entend pour cela recentrer l’entreprise sur son métier d’origine.
– Quelle analyse faîte-vous de l’échec de la reprise de Rossignol par Quiksilver ?
– Je suis convaincu que la stratégie imaginée par Quiksilver était très bonne. L’idée de Quiksilver d’ajouter une activité hiver à son portefeuille alors que les consommateurs sont semblables avait du sens à l’époque.
– Pourquoi le mariage de la mer et de la montagne n’a-t-il donc pas fonctionné alors ?
– Les causes sont multiples. Je ne peux juger que de ce que je connais. Ce n’est pas la marque Rossignol qui est en cause. Quiksilver a peut-être sous-estimé les difficultés que rencontraient le marché des sports d’hiver, en particulier sur le matériel où l’offre excède aujourd’hui la demande. C’est un marché qui a besoin d’être restructuré pour mettre fin à cet état de surproduction. Si on ajoute des problèmes conjoncturels comme les mauvaises conditions climatiques de l’hiver 2006-2007, ainsi que la stratégie à court terme des actionnaires de Quiksilver, il n’est pas illogique que le mariage n’ait pas continué plus longtemps.
– Quel avenir se dessine sur le marché des sports d’hiver ?
– Il n’y a pas de fatalité à perdre de l’argent dans ce domaine. Plusieurs marques de skis gagnent de l’argent. Le marché est en train de s’assainir. Il est normal que les grands groupes soient touchés lorsque le marché baisse parce qu’il y a tout de suite un impact sur leur volume. Mais ce sont également eux qui en profitent lorsque la croissance revient.
– Vous avez dirigé Rossignol entre 2002 et 2005. Dans quel état jugez-vous l’entreprise aujourd’hui ?
– Rossignol a changé entre temps. Ce n’est plus la même société. Il faut attendre la finalisation du processus de rachat pour travailler avec les équipes en place et faire le bilan de la situation (NDLR : la transaction devrait être finalisée à l’automne). Mais une chose est sûre : la passion à l’intérieur du groupe reste intacte. Le personnel me paraît impatient de repartir sur une nouvelle aventure.
– Quelles sont vos ambitions pour Rossignol ? La marque doit-elle défendre ses parts de marché coûte que coûte ?
– Rossignol doit conserver sa place de numéro 1 mondial tout en étant rentable et de façon durable. Rossignol n’a pas le droit d’être leader en part de marché sans rentabilité.
– Sur quels points comptez-vous axer votre plan de reprise ?
– A ce niveau de pertes (Rossignol a perdu 40 millions d’euros en 2007 pour un chiffre d’affaires de 300 millions d’euros), les solutions doivent venir de plusieurs domaines : innovation, positionnement des produits, des marques, de la bonne distribution, disposer de l’outil industriel adapté (en propre ou en sous-traitance), de la logistique adéquate. Rossignol a besoin de se focaliser sur son métier d’origine. C’est un atout considérable pour rebondir.
– Va-t-on vers une délocalisation de l’outil industriel ?
– Il n’y a pas de vérité absolue dans notre métier. Les solutions pour trouver de la rentabilité pérenne sont différentes selon les marques.
– Pourtant, Jarden, l’un de vos actionnaires, possède deux marques de skis (K2 et Volkl) dont la production a été délocalisée…
– Jarden participe effectivement au tour de table pour reprendre Rossignol. Mais il ne possède aucun droit de vote. J’ajoute que la production de K2 se fait 100% en Chine. Et celle de Volkl se fait majoritairement en Allemagne. Pourtant, les deux marques sont rentables ! Pour chacune d’entre-elle, un processus industriel a été mis en place selon son positionnement.
– Et dans le cas de Rossignol, quelle est la réponse ?
– Je n’ai pas d’idée préconçue. Les choses évoluent rapidement. Aujourd’hui, 70% du coût d’une paire de skis vient de la matière. Il faut surveiller l’évolution du marché. La création de valeurs apporte de la performance. Donc nous continuerons de nous s’appuyer sur les sites européens. Mais sans être entré dans l’entreprise, je ne peux pas avoir de réponse toute faite.