Par un important arrêt du 4 octobre 2011, la Cour de justice de lUnion européenne (CJUE) invite à modifier les pratiques contractuelles de concession des droits de retransmission télévisuelle des compétitions sportives. Reste à tenter dimaginer lampleur de ce changement.
Par Frédéric Dumont, Avocat associé Deprez Guignot & Associés – DDG
Les faits étaient les suivants. La Football Association Premier League (FAPL), qui gère la Premier League de Football en Angleterre, concède des droits de retransmission des matchs à des diffuseurs nationaux, en exclusivité sur leur territoire. Chaque diffuseur sengage auprès de la FAPL à crypter son signal de diffusion, et à sassurer quaucun dispositif de décryptage ne soit disponible hors de son territoire de diffusion. Or des pubs anglais utilisaient des dispositifs de décodage du diffuseur grec de la Premier League, afin de diffuser les rencontres de cette compétition à un coût moindre que celui exigé par le diffuseur anglais BskyB. La FAPL avait engagé un procès contre des utilisateurs et fournisseurs de ces dispositifs, estimant que ces pratiques diminuaient la valeur des droits concédés.
La Cour suprême anglaise avait saisi la CJUE de diverses questions préjudicielles portant sur la compatibilité avec le droit communautaire, dune part de la législation nationale empêchant la fourniture de dispositifs de décryptages de chaînes étrangères, au regard du principe de libre circulation des services (a), et dautre part des contrats de la FPLA, au regard des principes de libre concurrence (b).
a Sur le premier point, la Cour estime quune réglementation qui interdit limportation de dispositifs de décodage étrangers entre Etats de lUnion porte atteinte au principe de libre circulation des services dans lunion, sans que cette atteinte soit justifiée par la nécessité de protéger des droits de propriété intellectuelle. Elle relève dabord que les matchs en eux-mêmes, faute de laisser place à une liberté créative, ne peuvent être qualifiés duvres protégées par le droit dauteur. Certes, la Cour concède que les rencontres sportives ( ) peuvent être des objets dignes de protection comparable à la protection des uvres, cette protection pouvant être accordée, le cas échéant, par les différents ordres juridiques internes. Cest ce qui est prévu en France par les articles L.333-1 et suivants du Code du sport, qui confèrent aux fédérations une protection sur leurs compétitions sportives équivalente à un droit voisin du droit dauteur. Mais si lobjet spécifique de cette protection vise à assurer lexploitation commerciale des compétitions, il ne garantit pas aux titulaires de droits ( ) la possibilité de revendiquer la rémunération la plus élevée possible, mais seulement une rémunération appropriée. Autrement dit, cette protection légitime ne justifie pas de cloisonner territorialement les droits de retransmission afin de maximiser les revenus. Dautant que, selon la Cour, dans le cadre la vente aux enchères des droits de retransmission, rien ne soppose à ce que le titulaire de droits concerné réclame, à cette occasion, un montant qui prend en compte laudience effective et laudience potentielle tant dans lEtat membre démission que dans tout état membre dans lequel le programme serait retransmis.
b. Mais larrêt était surtout attendu relativement aux pratiques contractuelles des organisateurs de compétitions sportives. La Cour estime à cet égard que les licences exclusives de droits sportifs concédées par territoires ne sont pas compatibles avec les principes de libre concurrence, et constituent des ententes illicites au sens de larticle 101 de ce Traité sur lUnion, dès lors quelles imposent au diffuseur de ne pas fournir de dispositifs de décodage permettant laccès aux retransmissions à lextérieur du territoire couvert par la licence. Rappelant des principes établis, la Cour considère que si un titulaire de droits peut concéder, en principe, à un licencié unique le droit exclusif de radiodiffuser par satellite ( ) un objet protégé à partir dun seul état membre démission ou à partir de plusieurs Etats membres, en revanche un accord qui tendrait à reconstituer les cloisonnements de marchés nationaux est susceptible de contrarier lobjectif du traité visant à réaliser lintégration de ces marchés par létablissement dun marché unique. Autrement dit, ce nest pas loctroi de licences exclusives qui pose en soi une difficulté au regard du droit de la concurrence, mais les obligations supplémentaires qui visent à assurer le respect des limitations territoriales dexploitation de ces licences.
La portée pratique de larrêt est incertaine, et certains acteurs du marché concerné se sont déjà positionnés sur ses conséquences. Ainsi, lUEFA a déclaré quelle ne croit pas que la décision de la Cour de justice de l’UE changera radicalement la façon dont elle distribue les droits médiatiques de ses compétitions, dans la mesure où les contrats liés à ces droits ne sont pas strictement basés sur une exclusivité territoriale mais prévoient déjà la possibilité d’une extension limitée à d’autres territoires. En effet, ce qui est stigmatisé dans larrêt nest pas en soi la concession de droits exclusifs à un diffuseur pour un ou plusieurs territoires définis dans la licence, mais linterdiction faite au diffuseur de permettre laccès à son programme hors de ces territoires. Les contrats ne pourront plus désormais stipuler de telles interdictions, comme cétait le cas des contrats de la FAPL. Mais il est probable que le changement soit plus profond, à moyen terme. En décloisonnant le marché des droits sportifs, la Cour rend possible la coexistence de diffusions concurrentes sur un même territoire. Tout en proclamant sur le principe que la concession de droits exclusifs à un diffuseur sur son territoire reste licite, elle enfonce un coin dans cette exclusivité en interdisant les cloisonnements territoriaux. Reste à savoir en pratique dans quelle mesure lexclusivité sen trouvera affectée. Un certain nombre de contingences laissent penser que le diffuseur local exclusif continuera de bénéficier dun avantage : barrières linguistiques, attachement du public à son diffuseur habituel, difficultés pratiques dimportation de dispositifs de décodage de chaînes étrangères Mais la dégradation de lexclusivité pourrait conduire à une renégociation à la baisse du coût des droits sportifs. Tel était semble-t-il le but poursuivi par la Cour, qui considère que lobjet du droit des organisateurs de compétitions sportives nest pas dobtenir le profit maximal, mais une rémunération appropriée…