Pour les dirigeants de la Française des Jeux (FDJ) et du Pari mutuel urbain (PMU), c’en était trop. L’offensive des sites de paris en ligne sur le marché français provoque une réaction aussi spectaculaire que l’apparition soudaine de ces officines sur les maillots des clubs de football cette saison. Vendredi 15 septembre, devant un parterre de journalistes, les dirigeants de la société Bwin ont été interpellés par des policiers de la section judiciaire de la sous-direction des courses et des jeux. La guerre des paris reprend !
Quelle est la situation aujourd’hui en France ? En apparence, elle est simple. La Française des Jeux (FDJ) et le Pari mutuel urbain (PMU) bénéficient d’un monopole accordé par l’Etat pour la prise de paris sportifs. Derrière la loi, il y a la volonté de l’Etat de protéger les joueurs de l’addiction aux paris et de financer la promotion du sport. Un pourcentage des recettes de la Française des Jeux 1,78% des sommes misées sur les jeux exploités par la Française des jeux (plafonné à 150 millions d’euros) auquel s’ajoute pour les années 2006, 2007 et 2008 un prélèvement complémentaire de 0,22% (plafonné à 23 millions d’euros par an) – est d’ailleurs reversé au Centre national du développement du sport (CNDS). Les casinos bénéficient d’une dérogation pour opérer sur le territoire français, mais ils n’ont pas le droit de proposer des paris. Voilà pour la théorie… Mais dans les faits, la construction de l’Europe et l’avènement d’internet font sauter les verrous. Pour la commission européenne, le monopole imposé par l’Etat apparaît de plus en plus comme une entrave à la libre concurrence. Et puisque le réseau des réseaux ne connaît pas de frontière, plusieurs opérateurs se sont engouffrés dans la brèche ces dernières années. Installés à l’étranger avec des licences de jeux octroyées par des Etats tels que Malte ou Gibraltar, ils viennent solliciter les internautes français au nez et à la barbe de la FDJ et du PMU. Cette situation n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, il est possible de voir des publicités de ces officines de paris en ligne fleurir autour des terrains de sport, écouter des spots à la radio et même de retrouver leur logo placardé sur des sportifs comme avec l’équipe de France de handball qui, en 2005, affichait sur son maillot le nom de Betandwin
La pression publicitaire a accéléré la réaction
C’est de cette société autrichienne, rebaptisée Bwin, cotée à la Bourse de Vienne, que surgit le scandale aujourd’hui. Les deux co-présidents de Bwin, Manfred Bodner et Norbert Teufelberger, ont été cueillis à la Turbie (Alpes-Maritime), le centre d’entraînement de l’AS Monaco, sur la base d’une commission rogatoire d’un juge de Nanterre (Hauts-de-Seine). Pourquoi Nanterre ? Le département des Hauts-de-Seine accueille le siège de la FDJ. Avec le PMU, les deux entités ont déposé, il y a plus d’un an, une plainte contre X avec constitution de partie civile pour faire respecter la législation française. Après quoi, le parquet de Nanterre a ouvert en novembre 2005 une information judiciaire pour tenue illicite de jeux de hasard, loterie illicite, publicité de loterie prohibée et prise de paris illicites sur des courses de chevaux. Bwin est soupçonnée d’avoir contrevenu aux monopoles sur les loteries et sur les paris sur les courses de chevaux.
Déjà implantée sur le marché français, Bwin se contentait jusqu’ici de faire de la publicité sur des sites internet ou sur de la panneautique dans les stades de football. Mais cette saison, la société est passée à une autre échelle. Elle parraine les maillots de Monaco, de l’AS Saint-Etienne et d’Auxerre. Comme un fait exprès, le FC Nantes s’affiche depuis le début de la saison avec la marque Gamebookers, autre site de paris en ligne, et le Toulouse FC est parrainée par 888.com, un casino en ligne. Un quart de la Ligue 1 est aujourd’hui lié par un contrat de sponsoring à un site de paris en ligne. Une provocation de trop pour la FDJ, le PMU et pour l’Etat français.
L’action spectaculaire de vendredi dernier, si elle a le mérite de mettre sur la place publique un débat longtemps étouffé, n’est qu’un prélude à une longue bataille juridique. Mais elle a également provoqué des réactions inattendues.
L’Etat veut préserver le monopole, les sociétés de paris veulent la libre-concurrence, les clubs veulent de l’argent
Après l’opération de la Turbie, plusieurs clubs de football et certains joueurs ont lancé une action en justice devant le tribunal de commerce de Liège (Belgique) contre sept sociétés de paris en ligne. Le PSV Eindhoven (Pays-Bas), le FC Porto (Portugal) et le Real Madrid ainsi que les joueurs Zinedine Zidane (ex-Real Madrid), Ronaldo, Raul et David Beckham (Real Madrid) ont dirigé leur action contre Bwin, Unibet, Victor Chadler, William Hill, Ladbrokes et Betfair. Ils soutiennent que ces sociétés utilisent sans autorisation leurs noms et images à des fins purement commerciales. Mais il ne faudrait pas imaginer que les clubs professionnels soient favorables au monopole étatique. Bien au contraire.
Les dirigeants des clubs français ont critiqué la FDJ. Laurent Nicollin, président délégué de Montpellier, assure que l’ensemble des clubs français s’interroge sur la possibilité d’une plainte contre la Française des Jeux, qui utilise les noms des clubs sans contrepartie. Je constate que la Française des Jeux n’aime pas que l’on trouble le monopole sur les jeux, a commenté de son côté Jean-Claude Hamel, président de l’AJA. La Française des Jeux me paraît mal placée car elle exploite quand même le nom des clubs sans contrepartie pour ces derniers, alors que c’était prévu, a poursuivi M. Hamel. La Française des Jeux encaisse beaucoup d’argent sur le foot, mais le foot ne trouve pas son compte en retour renchérit le président de Bordeaux Jean-Louis Triaud.
Pour eux, peu importe qui régit les paris sportifs tant que cela n’affecte pas les recettes. Or, désavantagés fiscalement par rapport à leurs voisins européens, les clubs français n’ont pas l’intention de laisser filer une telle manne. Surtout que le secteur professionnel ne reçoit pas un centime du Loto Foot ou de Cote & Match. Ce qui n’a pas toujours été le cas. En 1987, la FDJ reversait 15 millions de francs chaque année au football français. De 1995 à 1998, la compensation était tombée à 10 millions de francs par saison avant de s’éteindre. Une situation que les clubs vivent plutôt mal alors que la prise de paris sportifs représentait, en 2005, 283 millions d’euros de chiffre d’affaires pour la FDJ sur un total de 8,9 milliards d’euros. La Française des Jeux se défend en soulignant que les jurisprudences européenne et française autorisaient l’utilisation des listes de matches pour les paris qu’elle propose chaque semaine.
La France agit de façon disproportionnée et illégitime dans l’affaire Bwin, estime Frédéric Manin, avocat pour la France de la société. Pour que l’Etat français puisse s’opposer aux activités d’une société comme Bwin en France, il faut qu’il puisse montrer qu’il canalise l’offre de jeux et qu’il montre que le monopole est la seule façon de préserver des objectifs de santé publique ou d’ordre public (police des jeux), détaille encore M. Manin. Bwin a annoncé qu’elle allait poursuivre la France pour atteinte aux droits de l’Homme et non respect des traités européens. La société invoque notamment un arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes de novembre 2003, dit jurisprudence Gambelli (voir La Lettre du Sport n°402). Dans cet arrêt, la Cour estimait qu’un Etat ne pouvait invoquer la protection de l’ordre public pour restreindre les jeux de hasard sur son territoire, si lui-même incitait le consommateur à pratiquer ces jeux.
Les deux dirigeants de la société ont en tous cas été mis en examen pour atteinte au monopole en matière de pronostic de course hippique, autres événements sportifs et loterie. Ils ont été libérés contre une caution de 300.000 euros chacun. Dans un communiqué, ils estiment ne pas comprendre la disproportion du traitement les concernant. Nous nous serions naturellement présentés spontanément à une convocation de la justice française, ont fait savoir les deux hommes. Nous sommes convaincus que notre activité est conforme au droit européen et entendons utiliser toutes les voies de droit pour le faire valoir, soulignent-il.
Un nouvel arsenal répressif est en préparation
En attendant, le gouvernement préparerait un renforcement des sanctions à l’égard des clubs. Actuellement la législation prévoit l’annulation du contrat de sponsoring et une amende de 4.500 euros pour avoir fait de la publicité à ces opérateurs. Dans le projet de loi, l’amende serait calculée sur le montant des droits perçus et pourrait atteindre jusqu’à quatre fois cette somme.
Comme rien n’est simple dans ce dossier, Bruxelles a déjà fait entendre sa voix. La Commission européenne, qui s’inquiète d’éventuelles entraves à la libre concurrence et à la circulation des services, s’apprête à épingler une série d’Etats membres qui ne respecteraient pas le droit communautaire. Une mauvaise nouvelle pour la France qui a déjà dû plier devant Bruxelles au sujet de l’appel public à l’épargne pour les clubs professionnels.
La Ligue 1 et les sociétés de paris en ligne
SPONSORING MAILLOT
Auxerre : Bwin
Monaco : Bwin
Nantes : Gamebookers
Saint-Etienne : Bwin
Toulouse : 888.com
ACCORD COMMERCIAL
Bordeaux : Bwin
Le Mans : Bwin
Lens : Sportingbet
Lorient : Sportingbet