L’expérience spectateur ou l’art de divertir le public lors d’une manifestation sportive n’est pas encore une grande spécialité française. En revanche, le téléspectateur est lui gâté ! L’irruption de beIN Sport dans le paysage audiovisuel sportif français (PASF) au milieu de l’été a singulièrement changé la donne. Pendant que le payant rivalise pour s’attirer la grâce des abonnés, le gratuit continue de se défendre et se voit même renforcé par l’arrivée de L’Equipe 21, première chaîne de sport gratuite du PASF.
Elle était annoncée comme révolutionnaire pour le marché français. C’est effectivement le cas. Non seulement, le débarquement d’Al-Jazeera en France a sauvé la Ligue 1 de la faillite, mais il a également redonné du pouvoir d’achat aux téléspectateurs. A 11 euros par mois l’accès à beIN Sport 1 et 2, les chaînes qataries ont frappé fort. 11 euros pour une programmation qui n’est pas au rabais. Ses abonnés peuvent regarder huit matches sur dix de la Ligue 1, moins le Paris SG monopolisé par Canal+ (un comble alors que le PSG est détenu par QSI comme beIN Sport, ndlr), neuf matches sur dix de Ligue 2, la quasi totalité de la Ligue des champions (diffusée pour la première fois de son histoire en cryptée en France), plus les championnats d’Espagne, d’Allemagne et d’Italie. La NBA, pour ne citer qu’une des compétitions les plus médiatiques au monde, fait également partie du package. Alors les banques d’affaires comme Natixis et les professionnels du secteur peuvent bien s’étonner de cette frénésie d’achats presque sans limite (Natixis anticipe plus d’1,3 milliard d’euros de pertes sur cinq ans), le téléspectateur abonné s’en fiche royalement. Pour 11 euros par mois, il peut s’affaler sur son canapé sans discontinuer du vendredi soir au dimanche soir.
A la stratégie canibalistique de beIN Sport, Canal+ oppose désormais celle du premium. On ne s’abonne plus à la chaîne cryptée pour tout voir des championnats européens et suivre les feuilletons de la Ligue 1 et du Top 14 en rugby. Mais bien pour avoir accès au meilleur de chaque compétition. La contrainte des quotas de diffusion par club ayant sauté, Canal+ peut choisir à loisir le match qui lui convient dans sa case horaire du dimanche soir. Ce qui dans la grande majorité des cas se traduit par la programmation du Paris SG. Et pour ceux qui manqueraient une acrobatie de Zlatan Ibrahimovic, Canal a prévu une séance de rattrapage en semaine avec toujours le PSG, mais version Ligue des champions.
Entre ces deux acteurs aux portefeuilles d’abonnés bien garnis (beIN Sport arrive à un million d’abonnés en six mois d’existence), les chaînes diffusant du sport en clair se positionnent sur des créneaux différents. A France Télévisions, le sport grand public avec les incontournables Roland-Garros et Tour de France, plus les Jeux olympiques tous les deux ans.
A TF1, le sport événementiel à condition qu’il réunisse un large public. Ce qui est de moins en moins vrai si on regarde de près la programmation sport de TF1 où l’équipe de France de football n’est plus une assurance tous risques.
La dernière née du PASF, L’Equipe 21, émanation de L’Equipe TV, a choisi de faire dans le sport pour tous. Première chaîne 100% sport accessible à tous, elle s’est liée avec le Comité national olympique et sportif (CNOSF). Cela lui permet de diffuser, outre des documentaires et des émissions d’informations, 1.000 heures de compétitions de sports parfois inédits comme le hockey sur gazon ou le tir à l’arc à venir. Pour son démarrage, 57% de la population est couverte. Ce sera près de 66% en juin 2013 et près de 75% en décembre 2013. La chaîne aura besoin de cette croissance rapide de son potentiel de téléspectateurs car ses objectifs sont élevés. La dernière née du groupe Amaury veut ouvrir des brèches et atteindre de 0,4 à 0,5% de part d’audience fin 2013 et, à terme, 1,3%, niveau auquel elle serait bénéficiaire.
Les changements ne sont pas terminés. Pris en étau avec son positionnement sur les droits de second rang, Eurosport s’apprête à changer de propriétaire (lire également page 4). TF1 est en passe de céder sa pépite (Eurosport International a réalisé un chiffre d’affaires de 368 millions d’euros en 2011), au groupe américain Discovery. Plus gros acteur que TF1 (4,23 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2011, contre 2,61 milliards d’euros pour la Une), Discovery pourra accélérer le déploiement d’Eurosport à l’international et contrer les velléités d’un acteur comme beIN Sport, susceptible de marcher sur les plates-bandes d’Eurosport pour compléter sa grille des programmes.