La Cour d’appel de Paris a considéré que l’opérateur historique pouvait subordonner l’abonnement à la chaîne sportive à son offre triple play (télévision, téléphone et internet). Pour les juges, la stratégie d’Orange ne saurait constituer une pratique commerciale déloyale. Orange a donc repris la commercialisation de sa chaîne.
Il y a quelques mois, aux termes d’un jugement du 23 février 2009, le Tribunal de commerce de Paris avait condamné la société France Télécom pour vente subordonnée et actes de concurrence déloyale concernant son offre Orange foot. La stratégie mise en place par France Télécom avec un investissement de 203 millions d’euros par an sur quatre ans pour obtenir certains droits exclusifs de diffusion des matches du championnat de Ligue 1 de football était ainsi remise en cause. Par sa décision du 14 mai 2009, la Cour d’appel de Paris a annulé ce jugement, à la plus grande satisfaction de l’opérateur historique, mais également de la Ligue de football professionnel (LFP) qui était d’ailleurs intervenue volontairement auprès de l’instance pour défendre le modèle de commercialisation développé par France Télécom.
Rappelons brièvement les faits de cette affaire : en février 2008, dans le cadre de l’appel d’offres lancé par la Ligue de football professionnel (LFP) pour l’attribution des droits d’exploitation audiovisuelle de la Ligue 1 de football portant sur la période 2008-2012, la société France Télécom s’était vue attribuer, via sa filiale Orange France, les droits exclusifs sur trois des douze lots moyennant le versement annuel de la somme de 203 millions d’euros. Ainsi, depuis août 2008, Orange Sports, filiale de la société France Télécom, avait exploité et édité le service Orange foot qui se présentait sous la forme d’une offre audiovisuelle dédiée à la Ligue 1 de football constituée d’un ensemble de services linéaires de télévision classiques, de services non linéaires et de services interactifs. L’offre Orange foot était ainsi proposée dans le cadre du bouquet TV d’Orange en tant qu’option payante conditionnée à la souscription d’un abonnement d’accès Internet à haut débit Orange.
Condamnation en première instance sur le fondement du droit de la consommation
La stratégie mise en place par la société France Télécom obligeait finalement le consommateur disposant déjà d’un abonnement à un autre fournisseur d’accès à Internet à résilier celui-ci pour souscrire un abonnement Internet Orange et bénéficier ensuite du service Orange foot. Les autres fournisseurs d’accès à Internet estimant qu’une telle stratégie caractérisait une vente liée et des actes de concurrence déloyale à leur égard, avaient assigné la société France Télécom devant le Tribunal de commerce de Paris. Le jugement du 23 février 2009 du Tribunal de commerce de Paris avait fait droit aux principales demandes des requérants. Sur la qualification de vente subordonnée, l’interdiction posée par l’article L. 122-1 du Code de la consommation a pour objet de préserver la liberté de contracter du consommateur afin qu’il ne soit pas obligé de se procurer un bien ou un service qu’il n’aurait sans doute pas acheté pour se procurer le bien ou service qu’il convoite. France Télécom présentait son offre Orange foot comme constituée d’un ensemble indissociable de services linéaires, non linéaires et interactifs nécessitant un accès à Internet haut débit d’Orange. Pour écarter cet argument, les premiers juges avaient retenu, d’une part, que les matches de Ligue 1 pouvaient être techniquement diffusés séparément des services interactifs qui les accompagnent et, d’autre part, que si l’indissociabilité de l’offre Orange foot et d’un abonnement d’accès à Internet haut débit pouvait éventuellement être retenue, l’indissociabilité avec un abonnement d’accès à Internet haut débit Orange n’était en revanche pas démontrée.
L’offre Orange foot pouvait être techniquement diffusée sur toute offre Internet haut débit. C’est donc par le prisme du droit de la consommation que le tribunal de commerce avait considéré que, les offres multiservices de France Télécom pouvant être techniquement et commercialement dissociables, le fait d’imposer au consommateur la souscription d’un abonnement haut débit Internet Orange pour avoir accès au service Orange foot caractérisait une vente subordonnée prohibée par l’article L. 122-1 du Code de la consommation.
Sur la concurrence déloyale, le tribunal avait considéré que la vente subordonnée avait permis à la société France Télécom d’acquérir une clientèle qu’elle détournait de ses concurrents en contraignant les consommateurs déjà abonnés auprès d’un fournisseur d’accès à Internet et qui souhaitaient bénéficier de la chaîne Orange foot, à résilier leur abonnement Internet. Selon les premiers juges, la société France Télécom s’était ainsi rendue coupable d’actes de concurrence déloyale, le préjudice de ses concurrents étant constitué par le manque à gagner portant sur le désabonnement de leurs clients pour s’abonner à l’offre d’accès Internet Orange en vue de bénéficier du service Orange foot.
Pas d’altération de la liberté de choix du consommateur
Par un arrêt du 14 mai 2009, la Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement du Tribunal de commerce de Paris. Statuant à nouveau sur le fond de l’affaire, les juges d’appel ont retenu que les pratiques commerciales en cause relevaient du champ d’application de la directive européenne n° 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et que, à ce titre, il était nécessaire d’interpréter la loi nationale (notamment, C. consom., art. L. 122-1, instituant une interdiction des ventes subordonnées) dans un sens qui la rende conforme au droit communautaire.
Une directive européenne au secours de France Télécom
Or, la Cour d’appel de Paris a constaté que l’offre subordonnée d’Orange Sports ne figurait pas parmi les pratiques énumérées à l’annexe I de la directive européenne en cause. Par conséquent, elle a estimé que l’interdiction générale posée par l’article L. 122-1 du Code de la consommation se heurtait au régime institué par la directive n° 2005/29/CE puisque cet article ne permettait pas de vérifier ponctuellement le caractère loyal ou déloyal d’une vente subordonnée au regard des articles 5 à 9 de la directive européenne en cause. Dans ces conditions, les juges ont conclu que l’offre litigieuse, qui précisait au consommateur la nécessité d’être client d’Orange, ne permettait pas de caractériser une pratique commerciale trompeuse susceptible d’induire en erreur un consommateur moyen, au sens des articles 6 et 7 de la directive.
De plus, la Cour d’appel de Paris a indiqué que le seul fait que le consommateur doive souscrire un abonnement ADSL Orange pour obtenir l’accès à la chaîne Orange Sports ne répondait pas à la définition de la contrainte énoncée à l’article 8. En effet, il ne saurait être considéré que le fait que l’accès à la chaîne Orange Sports soit associé exclusivement à l’offre ADSL de Orange altère de façon significative sa liberté de choix à l’égard des offres ADSL, l’essentiel étant, au sens de la directive 2005/29/CE, que le consommateur soit libre de ne pas souscrire.
Pour les concurrents d’Orange, l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris pose encore des questions. Selon eux, si le droit de la consommation pourrait ne pas s’appliquer, en revanche, au regard du droit de la concurrence, les pratiques de France Télécom, d’évidence, posent problème. Dans cette affaire, un pourvoi en cassation est donc une sérieuse éventualité.
CA Paris, 14 mai 2009, n° 09/03660, France Télécom