Le président de la Confédération brésilienne de football (CBF) affirme avoir mis fin au dessein de Nike de produire un maillot rouge pour la Seleçao pour la Coupe du monde 2026. Une décision qui révèle autant la sensibilité politique du football au Brésil que l’équilibre délicat d’un partenariat commercial de longue durée avec Nike, prolongé jusqu’en 2038.
Pas de polémique. Ou plutôt plus de polémique. À moins d’un an de la Coupe du monde 2026, coorganisée par le triumvirat États-Unis, Mexique et Canada, la Confédération brésilienne de football (CBF) met un coup d’arrêt brutal à un projet de maillot extérieur rouge conçu par Nike pour sa sélection. Le nouveau président de la CBF, Samir Xaud, a ordonné l’interruption immédiate de la production, jugeant ce choix de couleur incompatible avec l’identité nationale.
Un signal stratégique
Le rouge devait symboliser une rupture esthétique forte, voire un repositionnement marketing de la Seleçao, avec en prime le logo Air Jordan en lieu et place de la virgule Nike. Mais dans un pays où les couleurs sont hautement politisées — le rouge étant associé au Parti des Travailleurs du président Lula et le jaune aux partisans de son prédécesseur Jair Bolsonaro —, le projet a déclenché une polémique immédiate. « J’étais totalement contre le rouge, mais pas pour des raisons politiques, que ce soit bien clair », a déclaré Xaud sur Sportv. « Le bleu, le jaune, le vert et le blanc sont les couleurs de notre drapeau et ce sont les couleurs qu’il faut garder. » Au-delà du débat symbolique, cette intervention souligne la volonté de la CBF d’affirmer son autorité sur les choix marketing et commerciaux liés à l’équipe nationale. Alors que Nike aurait déjà engagé des lignes de production selon O Globo, la fédération a imposé un virage immédiat. La décision rappelle que la stratégie produit ne peut se détacher des sensibilités locales et politiques.
Ce bras de fer s’inscrit dans un contexte de relation étroite mais complexe. Nike, équipementier de la Seleçao depuis 1996, a renouvelé son contrat en décembre 2024 pour 12 années supplémentaires, jusqu’en 2038. Selon la presse brésilienne, le montant dépasserait les 100 M€ par an. Selon la CBF, pour la première fois dans l’histoire, elle recevra des redevances sur la vente des maillots de l’équipe brésilienne. CBF aura également des droits de licence sur les produits et pourra ouvrir des magasins dans le monde entier. À titre de comparaison, la Fédération française de football (FFF) a prolongé son contrat avec Nike l’été dernier pour une somme supérieure à 100 M€ annuels entre 2026 et 2034, tandis que la Fédération allemande (DFB) touchera près de 100 M€ par an de son nouvel accord record avec Nike à partir de 2027. Cet alignement des contrats souligne non seulement le poids économique du marché européen pour les équipementiers, mais aussi l’importance de la Seleçao comme vitrine mondiale : cinq fois championne du monde, le Brésil reste l’une des équipes les plus iconiques de la planète. Mais avec son maillot jaune ! Dans ce contexte, l’épisode du maillot rouge rappelle que la CBF entend protéger son identité nationale, quitte à mettre à mal certaines ambitions marketing de la marque américaine. « La CBF ordonne, Nike exécute », résumait O Globo.
Une ligne rouge peut être franchie très vite
L’affaire brésilienne n’est pas isolée : elle s’inscrit dans une histoire plus large de tensions entre fédérations et équipementiers. En Allemagne, la décision de la DFB de basculer vers Nike en 2027, rompant une relation historique de plus de 70 ans avec Adidas, a provoqué un véritable séisme médiatique et politique, au point que le chancelier Olaf Scholz a publiquement regretté ce choix lors de son officialisation. En Afrique, le Nigeria avait connu un autre type de friction : si les maillots Nike de la sélection avaient connu un succès mondial en 2018 (près de 3 millions d’unités précommandées), des désaccords avaient émergé sur la distribution locale, jugée insuffisante pour répondre à la demande des supporters. Ces exemples illustrent les lignes de tension entre les impératifs commerciaux des équipementiers et les attentes des fédérations. Dans le cas brésilien, la CBF a choisi la voie la plus radicale : affirmer sans ambiguïté qu’elle garde la main sur l’ADN de la Seleçao, quitte à freiner les velléités marketing de son partenaire. Président nouvellement élu à la tête de la CBF après une série de décisions juridiques, Samir Xaud a sauté sur l’occasion pour affirmer son autorité.
L’épisode met en lumière un enjeu plus large : la capacité des fédérations à garder la main sur l’identité de leur équipe nationale, malgré des contrats d’équipementiers qui s’étendent sur plusieurs années et génèrent des millions d’euros. À l’heure où Nike, Adidas et Puma multiplient les innovations de design pour séduire des marchés mondiaux, la question reste entière : jusqu’où les fédérations accepteront-elles que leur identité soit instrumentalisée à des fins marketing ?