Les effets sociaux du sport dans les quartiers difficiles sont inégaux, révèle un rapport publié il y a quelques jours par lAgence pour léducation par le sport, qui a évalué pendant trois ans limpact social de 24 clubs sportifs implantés dans des zones urbaines sensibles. Un pavé dans la mare !
Les clubs de sport traditionnels, notamment de football, et qui sont les plus répandus dans ces quartiers, «proposent du sport dans un but strictement compétitif où la référence suprême reste le champion et la performance», et «ont des difficultés à intégrer des logiques daccompagnement social et éducatif», déplore cette étude. Ainsi, «certaines associations, pourtant financées par les pouvoirs publics, ne se préoccupent que marginalement de leurs missions danimateur de la vie du territoire», poursuivent les auteurs du rapport.
Dautres clubs cherchent à aller au contact des habitants et «utilisent le sport pour accueillir des jeunes en difficulté» ou «instaurer des démarches de solidarité», souligne létude, prouvant que «les clubs sportifs peuvent se transformer pour devenir des lieux dintégration et déducation pour les jeunes issus des zones urbaines sensibles». Mais «les impacts sont cependant modestes, tant le nombre dusagers concernés est limité», conclut-elle.
«Il faut douter des vertus du sport»
A la lumière de leur analyse, les auteurs de létude avancent quatre idées forte. Première idée : «il faut douter des vertus du sport». «Les croyances dans les vertus du sport pour endiguer le mal des banlieues sont présentes. Elles véhiculent lillusion que la pratique en club permet de socialiser et dintégrer les jeunes les plus en difficultés. Les dirigeants, les élus politiques véhiculent cette idéologie. Hors, la réalité est beaucoup plus complexe. Pour quil y a ait intégration ou éducation au sein des clubs, des conditions doivent être réunies : une pédagogie adaptée, un espace démocratique dans les clubs, un suivi des jeunes, des liens avec les écoles et les parents, un projet éducatif partagé, etc.».
Deuxième idée forte : il existe une diversité de clubs dans les quartiers. «La première année de la recherche-action a permis de repérer différents types de clubs implantés dans les quartiers sensibles. Au-delà des différentes disciplines sportives (boxe, football, etc.), de grandes disparités existent quant à lengagement des clubs auprès des habitants. Certains ne veulent pas se soucier des difficultés des habitants alors que dautres proposent un accueil spécifique. Plus récemment, des clubs-entreprise viennent simplanter volontairement dans le quartier pour recruter de potentiels champions.» Une offre variée mais «faible dans les ZUS».
Troisième idée forte : il y a de moins en moins de bénévoles dans les quartiers et les contraintes bureaucratiques assomment les responsables. «Au sein de chaque club, la vie des dirigeants est rude car ils doivent faire face aux attentes toujours plus importantes des jeunes et des parents. Les présidents sont également épuisés de monter des dossiers de subvention sans rencontrer les élus politiques ou les responsables administratifs. Une certaine lassitude est nettement perceptible, provoquant des tensions et des départs du quartier.»
Quatrième idée forte : un manque de reconnaissance des pouvoirs publics. «La recherche de reconnaissance est apparue demblée comme une quête pour chaque club.» «Au delà des paillettes, les éducateurs et les dirigeants aimeraient être davantage reconnus et soutenus pour ce quils font au quotidien et moins pour les performances sportives. En effet, encore trop peu de villes proposent des critères socio-éducatifs dans lattribution de subvention publique. Très peu de club ont accès au financement de la politique de la ville.»
Quelles sont les solutions ?
LAgence pour léducation par le sport propose dinstituer un nouveau pacte civique du sport dans les zones urbaines sensibles. «Dans notre société, la crise de sens est profonde, le sport néchappe pas à ce constat. Il convient de re-questionner le rôle du sport en prenant en compte ses évolutions récentes, notamment en sinterrogeant sur les caractéristiques sociales des pratiquants en ZUS. Le potentiel des actions sportives sur le plan éducatif est réel, lappel à projets Fais-Nous Rêver le démontre chaque année. Hélas, trop peu de réflexions de fond sont menées sur la formation des acteurs, leur place dans la cité, les moyens nécessaires au développement des projets.» Et les auteurs du rapport dajouter : «Dans le prolongement des réflexions de Jean-Baptiste De Foucault, le pacte civique du sport définit des objectifs porteurs de sens, des modalités dengagement individuel et collectif, des procédures à valoriser. Ce pacte propose que chaque territoire qui le souhaite (région, département, ville) précise par un accord écrit entre les différents acteurs du sport (responsables politiques, dirigeants, éducateurs, bénévoles, professeurs dEPS, etc.) les priorités éducatives et citoyennes. Le pacte sera une sorte de contrat social alliant solidarité, diversité et reconnaissance des acteurs.»
LEtat sengage à nouveau
A loccasion de la présentation du document au Sénat, le ministre de la Ville, Maurice Leroy, a néanmoins réaffirmé «lengagement du gouvernement en faveur du développement du sport dans les quartiers», en vantant «les valeurs que le sport véhicule: le sens de leffort, le dépassement de soi et la réussite collective, lexemplarité, mais aussi son rôle intégrateur et éducatif dans les quartiers». «Rien ne sert davoir des équipements de proximité si les habitants des quartiers populaires ne se les approprient pas. Il faut faire vivre ces équipements, avec lengagement des collectivités locales, la vitalité des associations et des clubs sportifs», a souligné le ministre.
Méthodologie
Le 3 février 2011, lAgence Pour lEducation par Le Sport a présenté le rapport final de la recherche-action quils ont engagé en 2007, auprès de 24 clubs sportifs implantés dans les quartiers dits «difficiles» sur de leur impact social auprès de la population de ces quartiers. Ce rapport est le premier, depuis 25 ans, à évaluer lintérêt éducatif des pratiques sportives dans les Zones Urbaines Sensibles. 24 clubs sportifs implantés dans ces zones ont été le terrain daction de léquipe de recherche, pendant 3 ans.
Le saviez-vous ?
Le sport à vocation sociale est né au lendemain des émeutes urbaines de Vaulx en Velin au début des années 1980. «Les pratiques sportives en club sont apparues comme des environnements pertinents pour gérer la violence et pour pacifier les banlieues françaises. Le sport a surtout été envisagé dans les premières années de la Politique de la Ville comme un levier occupationnel, un passe temps ludique», souligne lAgence pour léducation par le sport. Très rapidement, de nombreux dispositifs proposant des animations, des équipements, des formations, de laide à la professionnalisation ont favorisé lémergence dun secteur socio-sportif qui reste à ce jour innovant mais aussi fragile. «Le sport est devenu progressivement un outil quasi magique dencadrement éducatif des jeunes des quartiers. La victoire des «black blanc beur» lors du Mondial de football de 1998 en France a conforté cette illusion dun sport comme lieu de rapprochement des identités et de vivre ensemble. Les scientifiques ont cependant très tôt montré la nécessité dadaptations sportives, dordres matériel, managérial et pédagogique.» Au début des années 2000, la question de lévaluation des politiques publiques sest imposée pour devenir une préoccupation majeure au sein de la Politique de la Ville. Or, malgré les initiatives du ministère de la jeunesse et des sports en matière demploi aidé, la place quoccupe le sport associatif sur les territoires prioritaires na jamais fait lobjet dune évaluation sérieuse. Au-delà de certains discours incantatoires prônés par des médias et des politiques sur les vertus du sport, une zone dombre persiste sur les réels effets sociaux et culturels des actions socio-sportives pour les habitants des banlieues.