Le 14 octobre 2010, sest tenue au sein des locaux parisiens du cabinet davocats Clifford Chance une conférence-déjeuner sur le thème « Sport et exclusivités ». Co-organisée par la société Droitdusport.com et la revue Concurrences, cette manifestation a rassemblé un large public. Plus de cent cinquante participants issus de nombreux secteurs du monde du sport (juristes dentreprises, dassociations ou de fédérations sportives, avocats, membres de lAutorité de la concurrence, universitaires, journalistes, etc.) ont ainsi eu loccasion dassister aux interventions croisées de Madame Anne PERROT, vice-présidente de lAutorité de la concurrence, Jacques LAMBERT, Directeur général de la Fédération française de football, Jean-Pierre HUGUES, Directeur général de la Ligue de football professionnel et Emmanuel DURAND, avocat exerçant au sein du cabinet Clifford Chance.
Lors des débats, chacun des intervenants a eu loccasion dexprimer sa position concernant lapplication du droit de la concurrence au secteur du sport, et en particulier du football professionnel. La qualité des intervenants, alliée à leur volonté déchanger leur point de vue respectif de la manière la plus objective possible, a permis de mettre en lumière la difficile mais nécessaire cohabitation entre le droit de la concurrence et les enjeux du football professionnel.
Il convient de rappeler à titre liminaire que, par principe, le droit de la concurrence a vocation à sappliquer à tous les secteurs économiques. En cela, le secteur du sport professionnel, eu égard notamment à son poids économique considérable, ne peut échapper à linfluence de ce droit. Dailleurs, comme il a été relevé au cours du colloque, la notion de « concurrence » nest-elle pas celle de « competition » en langue anglaise ?
Ce sont, en particulier, les mécanismes dexclusivité largement mis en uvre dans ce secteur dactivité qui font lobjet dune attention accrue de la part de lAutorité de la concurrence. Ce type de mécanisme peut être restrictif de concurrence. Loctroi dune exclusivité nest pas interdit per se, notamment en considération des effets positifs quil peut induire pour le consommateur, ce qui fait que lAutorité de la concurrence peut être amenée à exercer son contrôle et à procéder à une comparaison entre les effets anti et pro concurrentiels de ce type de pratique.
En loccurrence, les débats ont principalement été articulés autour des questions relatives au recours à :
lexclusivité des organisateurs des compétitions sportives ;
lexclusivité des vendeurs de droits et, en particulier, concernant la vente centralisée des droits audiovisuels liés au football professionnel ;
lexclusivité dans la vente des contenus aux consommateurs.
Toutes ces questions sont naturellement étroitement liées et révèlent, en filigrane, limbrication verticale de lensemble de ces marchés.
Le constat empirique qui a été dressé du fonctionnement du football professionnel par Madame Anne PERROT permet ainsi dillustrer la complexité de la tâche de lAutorité de la concurrence. Il a ainsi été rappelé que :
il existe un lien fort entre les performances dune équipe et le niveau de rémunération des joueurs de cette équipe ;
cela suppose que chaque équipe dispose de ressources financières importantes, afin de rester compétitive ;
reste que pour attirer et satisfaire les (télé)spectateurs, il est nécessaire de garantir un certain équilibre sportif entre les différentes équipes et assurer, ce faisant, lincertitude des résultats, règle inhérente au sport ;
le mécanisme retenu afin dassurer léquilibre ainsi recherché peut éventuellement être atteint par la redistribution des recettes générées par la vente des droits audiovisuels ;
je nai pas dit cela : jai parlé de redistribution entre les équipes et du fait que la vente centralisée était meilleure de ce point de vuecependant, si lintérêt du consommateur est que la qualité du spectacle soit la meilleure possible, cela ne doit pas se faire à un coût trop important pour ce dernier.
1/ Lexclusivité des organisateurs sportifs
Les débats ont, dans un premier temps, permis daborder la question de lexclusivité accordée aux organisateurs dévénements sportifs. A cette occasion, Monsieur Jean-Pierre HUGUES a rappelé que chaque fédération sportive ou ligue professionnelle sous-délégataire dispose dun monopole concernant lorganisation des compétitions sportives professionnelles, règle établie par lordonnance n° 45-1922 du 28 août 1945 (aujourdhui codifiée aux articles L. 131-14 et suivants du Code du sport). Loctroi par lEtat dun tel monopole trouve sa justification dans lidée de service public.
Dautres modèles sont toutefois concevables et des contre-exemples existant à létranger démontrent que lorganisation dévénements sportifs pourrait être accordée de manière non-exclusive à différents opérateurs. Cest le cas par exemple aux Etats-Unis où les ligues de sports professionnels (type NBA, NFL ou MLS) ne bénéficient daucune exclusivité quant à lorganisation des compétitions sportives. Il a toutefois été souligné quen pratique, il apparaît particulièrement difficile pour un nouvel opérateur de pénétrer sur le marché et dorganiser une compétition concurrente à celle des « majors ».
2/ Lexclusivité dans la vente des droits audiovisuels : lexemple de la vente centralisée des droits audiovisuels liés au football professionnel
Il a été rappelé lors des débats que la loi n° 2003-708 du 1er août 2003 a permis de transférer la propriété des droits de diffusion audiovisuelle des fédérations sportives aux sociétés sportives professionnelles tout en conservant une gestion centralisée par la ligue professionnelle concernée. Ainsi, sagissant plus précisément du football professionnel français, il est désormais établi que les droits de diffusion audiovisuelle appartiennent aux clubs mais sont commercialisés de manière centralisée par la Ligue de football professionnel.
En conséquence, la Ligue dispose dun monopole en vue de la commercialisation des droits audiovisuels. Pour ce faire, elle procède à des appels doffres afin de garantir le jeu de la concurrence entre les différents acheteurs.
Un système objectif de nature à assurer cette mise en concurrence est selon lAutorité de concurrence la mise aux enchères des droits concernés. En effet, Madame Anne PERROT a rappelé que ce système, contrairement à celui dit de la vente de gré à gré ou vente négociée, permet de révéler a priori la valeur donnée au bien objet de la mise en vente par chacun des candidats.
Reste que cette mise en concurrence est susceptible dentraîner des effets anticoncurrentiels, notamment, comme la rappelé lAutorité de la concurrence dans son avis du 17 juillet 2009, le risque dune hausse excessive des coûts dacquisition de ces droits et donc du coût daccès pour le consommateur à ces contenus dits « premiums ».
Aujourdhui, une autre difficulté apparaît : le retrait annoncé de la société Orange pour le prochain appel doffres en 2012.
Dans cette hypothèse, il faudrait examiner la situation dans laquelle il nexisterait plus quun seul acheteur.
Plus largement, Monsieur Jean-Pierre HUGUES a fait part de ses inquiétudes concernant le fait quaucun équilibre nait été encore trouvé entre les différents intérêts devant être préservés, ce malgré la volonté de chacun des acteurs. Face à ces difficultés, les relations entre lAutorité de concurrence et la Ligue de football professionnel pourraient être définie, selon lui, non pas comme une opposition mais plutôt comme une « confrontation de gens de bonne volonté investis dune mission surhumaine ».
3/ La vente aux consommateurs : lexemple «Orange»
Saisi pour avis par la Ministre de lEconomie en janvier 2009, lAutorité de la concurrence a considéré, dans un avis en date du 17 juillet 2009, que le modèle de double exclusivité exclusivité de distribution, donnant lieu à un abonnement au service télévisuel lui-même et exclusivité de transport et daccès qui impose, pour accéder aux contenus, dacquitter un abonnement à loffre triple play de Orange présente des risques significatifs datteinte à la concurrence.
Interrogé par Maître Emmanuel DURAND sur la position de lAutorité de la concurrence sur le sujet, Madame Anne PERROT a rappelé quun arbitrage avait dû être effectué entre les différents risques datteinte à la concurrence et que si la présence sur le marché de la société Orange pouvait être bénéfique, il existait aussi un risque important de restriction de la concurrence sur le marché annexe des fournisseurs daccès à Internet, marché sur lequel la société Orange dispose dune part de marché prépondérante.
Sur ce point, Monsieur Jean-Pierre HUGUES a regretté l « hyperactivité » de lAutorité de la concurrence, en pointant notamment le risque de monopsone pouvant en découler. Selon lui, il aurait été préférable que lAutorité de la concurrence ne se positionne pas de manière si rapide, sur la seule base dun risque non avéré datteinte à la concurrence. Madame Anne PERROT a toutefois rappelé que lAutorité de la concurrence saisie par la Ministre de lEconomie na pas pris une décision mais simplement rendu comme elle en avait lobligation un avis général sur le sujet.
Enfin, Monsieur Jean-Pierre HUGUES a fait part de son dépit quant au fait de voir la Ligue de football professionnel exportée vers des problématiques de droit de la concurrence qui la dépassent, par exemple concernant le sujet des ventes liées.
Questions/Réponses des participants :
A lissue des débats, la parole a été donnée aux participants pour des questions aux intervenants.
Maître Yves WEHRLI du cabinet davocats Clifford Chance a interrogé Madame Anne PERROT sur les inconvénients pour le consommateur de devoir disposer de plusieurs décodeurs ou parabole en cas de pluralité dopérateurs télévisuels. Cette question a permis à Madame Anne PERROT de revenir sur le rôle dexpert concurrentiel de lAutorité de la concurrence, qui examine et met en balance les avantages et les inconvénients présentés par les différents systèmes soumis à son analyse.
Maître Frédéric AMIEL a soumis à lanalyse des intervenants lhypothèse selon laquelle la Ligue de football professionnel créerait sa propre chaîne de télévision aux fins de diffusion des matchs de football professionnel. Selon lui, un tel scénario pourrait présenter des risques datteinte à la concurrence dans la mesure où la Ligue serait non seulement acheteur mais également vendeur. Madame Anne PERROT a indiqué quil faudrait dans cette hypothèse déterminer lincidence sur la concurrence de lapparition de cet offreur supplémentaire sur le marché, en vue de satisfaire dans de meilleures conditions les attentes des consommateurs, ne semble a priori pas poser de difficultés particulière au regard du droit de la concurrence.
Enfin, Monsieur E. PROTASSIEF, rapporteur à lAutorité de la concurrence, a permis à Monsieur Jacques LAMBERT de donner des précisions sur limportance de la durée huit ans de laccord conclu entre la Fédération française de football et léquipementier Nike. Il ressort des explications de Monsieur Jacques LAMBERT quune telle durée se révèle absolument nécessaire du fait des investissements industriels devant être réalisés par léquipementier, notamment au regard de lobligation pour ce dernier de livrer une quantité importante de maillots aux clubs participants à la Coupe de France. Lamortissement de tels investissements nécessite une durée de contrat suffisamment longue, condition indispensable pour lentrée sur ce marché dun nouvel équipementier.