Il y a mille et une façons de parler du sport. Chaque média a choisi un territoire d’expression. Jean-François Fournel, grand reporter chargé des sports à La Croix nous décortique le traitement du sport dans le quotidien catholique. Un traitement pour le moins singulier.
Vous avez fait le portrait du skieur haïtien Jean-Pierre Roy pour l’ouverture des Championnats du monde de ski à Garmisch-Partenkir-chen en février dernier. Ce sujet illustre-t-il votre ligne éditoriale ?
Jean-Pierre Roy est un skieur amateur, qualifié pour porter la bannière d’Haïti aux Championnats du monde. Il cherche à mobiliser pour lever des fonds en faveur du Secours Populaire au profit d’Haïti à travers la création de la Fédération haïtienne de ski. Le parti pris de La Croix est de ne pas traiter le sujet sous l’angle des chances des athlètes de remporter la compétition ou de leurs performances sportives. Nous préférons couvrir l’événement comme un sujet magazine.
Diffusez-vous les résultats des compétitions ?
La Croix paraît tous les jours sauf le dimanche. Nous bouclons le journal quotidiennement à 18 heures sauf événement exceptionnel. Nous ne pouvons donc pas diffuser les résultats des compétitions du week-end dans nos pages le lundi. Néanmoins, il nous arrive parfois de capter les premiers résultats de certaines épreuves qui ont une portée internationale. C’est le cas du Tournoi des Six Nations. Mais, les gens qui s’intéressent vraiment à une compétition la vivent en direct via la télévision, la radio ou Internet. Ils ont les résultats instantanément. Ils ne vont donc pas attendre le lendemain pour lire les résultats dans nos pages.
Quelle est la ligne éditoriale de La Croix en matière de sport ?
Nous voulons apporter un contenu différent, de la connaissance à nos lecteurs. Nous parlons de tous les sports. Nous partons du principe que les lecteurs passionnés par le sport vont lire d’autres journaux ou magazines spécialisés. Notre positionnement est donc différent des autres supports de presse sport ou qui ont un département dédié. Nous traitons au jour le jour l’actualité et jonglons avec des papiers de présentation et des sujets magazine. Nous ne vivons pas le sport comme un objectif de résultats des compétitions. Cela va bien au-delà ! Le sport fait aujourd’hui partie de la vie quotidienne du public. Il est un des rares endroits de convergence, un lieu de cohésion sociale. Nous accompagnons donc nos lecteurs qui viennent chercher dans nos colonnes une autre vision du monde, et qui s’intéressent à la culture du sport.
Votre traitement a-t-il évolué ces dernières années ?
Depuis le lancement de la nouvelle formule en 2006, la politique est de publier du sport tous les jours, quelle que soit l’actualité. Un changement né de la volonté de la nouvelle directrice de la rédaction Dominique Quinio. Avant la refonte du journal, les papiers sports étaient concentrés autour du week-end et sur les seuls grands événements. A cette époque, deux personnes à plein-temps étaient en charge des pages. Aujourd’hui, la rédaction sport se résume à un plein temps, un temps partiel et un jeune en contrat dalternance au CFJ (Centre de formation des journalistes). Suivant l’actualité, il nous arrive de faire appel à des correspondants locaux. Pour les grands événements à couvrir comme la Coupe du monde de football, c’est le journaliste titulaire qui assure la couverture de l’événement en binôme avec une personne de la rédaction sensibilisée au sport. Le sport représente environ sept pages par semaine avec le samedi toujours un sujet magazine comme l’inauguration du stade MMArena.
Qui sont les lecteurs de La Croix ?
Nos lecteurs ne sont pas des hyper sportifs ! Ce sont à 99,9% des chrétiens de plus de 50 ans et de catégorie socio professionnelle supérieure (CSP+), plutôt provinciaux que parisiens. Nous avons un public d’abonnés qui nous demande d’être dans la réserve. C’est pourquoi notre positionnement est de ne jamais être violent, trop réactif en première intention face à une information et de prendre du recul avant de la diffuser.
Cela vous conduit-il à vous interdire certains sujets ?
Nous faisons des choix éditoriaux. Je n’ai pas trouvé d’intérêt à parler de l’affaire Franck Ribéry, par exemple. Si je prends un autre exemple, celui de la boxe, même si c’est un sport compliqué à traiter sur le plan de l’éthique, nous avons écrit un sujet sur les femmes et leur fascination pour cette discipline.
Quelle est votre relation au sport business ?
A l’occasion de France-Brésil, nous avions abordé la problématique des primes ou ce que représente le business du football. Nous préférons exposer l’actualité sous un angle économique ou sociétal. Par contre, nous n’allons pas nous ébahir des salaires des joueurs. Nous ne sommes jamais dans le sport spectacle et rarement dans le sport business. Notre volonté et notre intuition nous conduisent à ne pas trop traiter le football dans nos colonnes car il exaspère une partie de nos lecteurs. Tous les ans, nous réalisons une étude en collaboration avec l’institut TNS-Sofrès (24e baromètre) sur le degré de confiance des Français dans les médias. La dernière étude révèle que les Français considèrent que le naufrage de l’équipe de France en Afrique du Sud a été surmédiatisé. Ils sont 79% à penser que le bruit était bien trop supérieur aux faits. Le choix éditorial de La Croix est plutôt conforme à ce que pensent les Français.
Pascale Baziller