Aux termes d’un avis du 7 juillet 2009, l’Autorité de la concurrence s’est prononcée sur les relations d’exclusivité entre activités d’opérateurs de communications électroniques et activités de distribution de contenus et de services et, notamment, sur l’apparition récente d’un modèle à double exclusivité revendiqué par Orange dans le cadre de son offre triple play.
Aut. conc., avis n° 09-A-42, 7 juill. 2009
En janvier 2009, la ministre de l’Economie, de l’Industrie et de l’Emploi avait saisi l’Autorité de la concurrence concernant, d’une façon générale, les relations d’exclusivité existant entre les activités d’opérateurs de communication électroniques et de distribution de contenus et de services. Il était ainsi demandé à l’Autorité de se prononcer sur la compatibilité avec les règles de concurrence des exclusivités d’accès par lesquelles certains fournisseurs d’accès à Internet (FAI) réservent à leurs abonnés des contenus très attractifs, tels que le football. Il lui était également demandé de formuler un avis sur l’opportunité d’un cadre juridique spécifique, destiné à prévenir les risques de telles exclusivités.
La double exclusivité : une question nouvelle
Pour l’Autorité de la concurrence, les exclusivités mises en place par Orange à la suite de l’acquisition de contenus premium du type sport constituent un modèle nouveau, appelé à se généraliser à d’autres contenus et à s’étendre à d’autres supports – ADSL aujourd’hui, fibre optique demain. Or, ce modèle est celui de la double exclusivité : exclusivité de distribution, donnant lieu à un abonnement au service télévisuel lui-même et exclusivité de transport et d’accès, qui impose, pour accéder aux contenus, d’acquitter un abonnement à l’offre triple-play du fournisseur d’accès Internet.
L’Autorité de la concurrence indique qu’elle considère que l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché de la télévision payante doit, a priori, avoir un effet positif, notamment pour les consommateurs qui peuvent en attendre une baisse des prix, un accroissement de la diversité des contenus proposés ainsi que l’accès à de nouvelles offres intermédiaires, plus accessibles en terme de prix que les offres premium haut de gamme de Canal + aujourd’hui proposées. Cependant, elle estime que la réponse doit être recherchée ailleurs que dans le modèle économique – contestable – de la double exclusivité revendiquée par Orange.
Pour justifier sa position, l’Autorité de la concurrence relève, tout d’abord, qu’il existe d’autres propositions pour favoriser l’incitation à investir dans les contenus, moins dommageables pour la concurrence, ensuite, que la bonne réponse à une insuffisance de compétition en amont ne peut être d’encourager une stratégie qui aurait pour effet potentiel le verrouillage de la concurrence en aval et, enfin, que l’imitation et la généralisation du modèle de la double exclusivité comportent des risques sérieux pour l’intensité de la concurrence et la liberté des consommateurs sur les marchés du haut débit et – demain – du très haut débit.
Restriction du choix du consommateur
La double exclusivité entraîne en effet une restriction du choix du consommateur, qui ne peut plus avoir accès à tous les contenus attractifs ou est obligé de payer beaucoup plus cher pour avoir un accès universel aux contenus. La duplication du modèle économique de la double exclusivité aujourd’hui développé par la chaîne Orange Sport pourrait avoir pour conséquence d’enfermer le consommateur, ce dernier restant alors chez un opérateur télécoms uniquement ou principalement pour les contenus que celui-ci a acquis à titre exclusif.
En faisant l’acquisition de contenus premium et en les réservant à ses seuls abonnés Internet, la stratégie d’Orange comporte aussi le risque de déstabiliser le marché du haut débit au détriment des opérateurs concurrents. L’Autorité estime que si cette stratégie n’a pas eu pour l’instant pour effet concret de reprendre des abonnés à ses concurrents, elle a du moins pour objectif de fidéliser ses propres abonnés puisqu’ils ne peuvent plus faire jouer la concurrence des autres fournisseurs d’accès Internet sans perdre les contenus auxquels ils sont attachés.
Si le modèle économique de double exclusivité se généralisait, il pourrait donc conduire à terme à un duopole tant sur le marché de la télévision payante que sur le marché du haut débit. Les opérateurs télécoms ne souhaitant pas, ou n’ayant pas les moyens, de s’intégrer verticalement ne pourraient se maintenir sur le marché du haut débit. Le risque serait alors grand que se constitue un duopole où se feraient face, en quelque sorte en silo, deux opérateurs intégrés Canal+/SFR, après la fin des engagements souscrits lors des récentes fusions, d’un côté, et Orange de l’autre.
La position de l’Autorité de la concurrence
1) L’exclusivité d’accès doit rester une solution exceptionnelle, strictement limitée dans sa durée et dans son champ
S’il est nécessaire de maintenir, pour les opérateurs télécoms, les incitations à investir dans les contenus et à développer des services associés et interactifs, il apparaît à l’Autorité souhaitable de limiter la durée d’exclusivité à un ou deux ans et d’en restreindre le champ aux véritables innovations de nature technique (services interactifs associés aux flux linéaires) ou commerciales (programmes innovants en linéaire venant enrichir la gamme des offres intermédiaires) pour lesquelles il y a lieu de faciliter l’apprentissage par les abonnés ou de tester le marché.
2) L’auto-distribution, une solution d’équilibre satisfaisante
A la fin de l’éventuelle exclusivité d’accès, il semble compréhensible que le FAI ne souhaite pas rendre disponibles ses chaînes sur le marché de gros, et les voir intégrées aux bouquets propriétaires des autres fournisseurs d’accès. Les incitations à investir dans les contenus seraient alors trop faibles pour un acteur non dominant de la télévision payante, puisque les autres distributeurs pourraient, sans prendre de risque industriel, intégrer directement les chaînes dans leurs bouquets propriétaires.
L’auto-distribution permettrait en revanche à un FAI comme Orange de maîtriser la relation commerciale avec l’abonné et de développer son parc potentiel d’abonnés pour la diffusion la plus large, et donc la plus rentable, des chaînes. Pour les consommateurs, cette solution leur permettrait d’avoir accès à tous les contenus les plus attractifs sans être enfermés chez un fournisseur d’accès Internet.
3) La régulation du marché de gros des chaînes payantes reste un complément indispensable
Un partage inéquitable de la valeur entre distributeurs de contenus et opérateurs de réseaux peut nuire à l’investissement, qui est nécessaire pour développer des services interactifs et déployer la fibre optique. Or cette question ne trouvera une solution satisfaisante sur le long terme qu’en développant la concurrence sur les marchés de la TV payante et non en limitant la fluidité des marchés du haut débit et du très haut débit.
C’est pourquoi l’Autorité de la concurrence souhaite qu’advienne rapidement une évolution sensible des conditions actuelles de fonctionnement du marché de gros des chaînes payantes, en complément des limitations strictes qui doivent être imposées au modèle de la double exclusivité revendiqué par Orange.