Retour sur la folle aventure de la Super Ligue ou « Super League » en version originale. Un projet très rapidement avorté sous la pression des fans, mais qui soulevait des débats juridiques potentiellement explosifs.
Par Thibault Lachacinski et Fabienne Fajgenbaum, NFALAW, Avocats à la Cour
Coup de tonnerre le 18 avril 2021, lorsque 12 des plus grands clubs de football européens (Real Madrid, FC Barcelone, Atlético Madrid, Inter Milan, AC Milan, Juventus, Manchester City, Manchester United, Arsenal, Liverpool, Chelsea et Tottenham) annoncent de concert la création d’une « Super League ». Deux jours auparavant, avait d’ailleurs été déposée, auprès de l’EUIPO, une demande de marque de l’Union européenne « THE SUPER LEAGUE ». Preuve d’un projet muri, un nom de domaine avait été réservé dès octobre 2020 sous l’url www.thesuperleague.fr. Nouveau coup de tonnerre le 21 avril 2021, après que les six clubs anglais, suivis des trois clubs italiens puis par l’Atlético Madrid ont finalement jeté l’éponge. Trois jours à peine après son lancement, le Président du Real Madrid Florentino Pérez se voyait ainsi contraint de confirmer la suspension de la « Super League ».
Entretemps, l’UEFA – dont la « Champions League » était directement menacée – la FIFA et les Fédérations nationales concernées avaient brandi la menace de bannir les clubs dissidents des autres compétitions domestiques, européennes ou mondiales, voire d’exclure leurs joueurs des équipes nationales.
La déroute du projet de « Super League » est spectaculaire. Pour autant, était-elle prévisible, comme certains l’affirment ? Le basketball offre pourtant l’exemple d’un précédent « apaisé » puisque les compétitions organisées par la FIBA Europe cohabitent depuis 20 ans avec l’Euroligue, une ligue fermée basée sur des critères extra-sportifs, tandis que la Kontinental Hockey League est organisée en marge des instances fédérales du hockey sur glace.
La jurisprudence ISU rappelle que les athlètes peuvent prendre part à des compétitions non contrôlées par des fédérations
Le sport est depuis des décennies considéré comme une activité économique. Le droit de la concurrence en a fait son terrain de jeu (article 101 du TFUE). Dans le même temps, l’article 165 du TFUE commande de prendre en considération les caractéristiques spécifiques du sport en général ainsi que sa fonction sociale et éducative. Ainsi, le Tribunal de l’Union européenne n’a-t-il pas tout récemment (16 décembre 2020 ; pourvoi en cours) confirmé que les règles édictées par l’Union internationale de patinage (ISU) prévoyant des sanctions sévères contre les athlètes participant à des épreuves non reconnues par elle sont contraires aux règles de l’Union européenne en matière de concurrence ? Reste à savoir si la mise en œuvre des sanctions brandies par l’UEFA pourrait être jugée proportionnée au regard de l’environnement global du litige et des objectifs poursuivis, lui permettant ainsi d’échapper au grief d’entrave à la libre concurrence… Les débats s’annonçaient sportifs tout au plan juridique qu’économique.
Conscients des risques encourus à cet égard, les clubs frondeurs avaient d’ailleurs pris la précaution de saisir le Tribunal de commerce de Madrid, lequel a ordonné le 20 avril 2020 à l’UEFA et à la FIFA de « s’abstenir d’adopter toute mesure ou action » de nature à perturber la préparation de cette nouvelle manifestation, y compris par la prise de sanctions disciplinaires et autres.
La pression des fans a évité une joute judiciaire
C’est finalement la bataille de l’opinion publique européenne qui aura étouffé dans l’œuf le projet de « Super League ». De toute évidence, les clubs protagonistes – aussi bien que leur financier américain JP Morgan, à hauteur de 4 à 6 milliards de dollars – avaient gravement sous-estimé le déferlement de réactions hostiles suscitées par leur projet de ligue fermée. La soudaineté de son annonce, en pleine période de pandémie de COVID-19 de surcroit, a en effet suscité un tollé général, que ce soit de la part des supporters des clubs concernés (par exemple, le nom de domaine www.thesuperleague.org, réservé dès le 18 avril 2021, renvoie à une page d’accueil « NO SUPER LEAGUE »), des milieux politiques (l’Elysée a salué la décision des clubs français de ne pas rejoindre le projet) ou encore des Fédérations nationales et évidemment de l’UEFA. Sortant de sa réserve, le CIO soutenait les Fédérations. Tous ont fait bloc contre le projet.
Fin de partie ?
Les valeurs portées par l’organisation pyramidale du sport en Europe ont – pour l’instant – prévalu sur les considérations financières à l’origine du système des ligues fermées dont le modèle nord-américain est l’archétype : prévalence de critères sportifs sur des considérations économiques (maintien du système de promotion/relégation, c’est-à-dire participation en fonction du mérite sportif) et préservation du principe de solidarité qui permet notamment le financement du sport amateur.
Reste à savoir si, tel un serpent de mer, le vieux projet de ligue fermée de football en Europe se trouve simplement suspendu ou si, à l’instar de l’escargot qui avance lentement mais finit par arriver, il visait avant tout à prendre date et à instaurer un rapport de force favorable dans le cadre de la réforme de la Ligue des Champions ?