Devant les responsables marketing des clubs réunis en séminaire par la Ligue de football professionnel (LFP), puis face aux présidents des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2, Marshall Glickman s’est exprimé sans retenue et avec l’accent américain pour appuyer là où ça fait mal. Ex-président des Portland Trailblazers (NBA), le responsable de G2 Strategic est venu présenter les conclusions d’une étude nationale conduite avec le cabinet français Keneo sur la stratégie marketing et billetterie des clubs français. Elles sont sans appel : les clubs doivent faire leur révolution sous peine d’aller droit dans le mur.
Pour organiser l’Euro 2016, la France du football s’est dotée de nouveaux stades, d’autres vont arriver. Ses clubs ne sont pas endettés. En tout cas beaucoup moins que plusieurs formations huppées du continent. Mais le football français perd de l’argent et continuera à en perdre si rien ne change. Sportivement, les clubs ont également décroché au niveau européen. Et s’il faut rajouter une couche à ce tableau bien sombre, on peut compter sur Marshall Glickman. Mandaté par la Ligue de football professionnel (LFP) pour accompagner le Comité Stratégique Stades dans l’amélioration de l’expérience spectateurs des stades de Ligue 1 et Ligue 2, son cabinet G2 Strategic a enquêté avec l’agence Keneo sur les pratiques du football français. Lors de la dernière assemblée générale de la LFP, le président de G2 Strategic (société américaine spécialisée dans les stratégies marketing et de billetterie dans le sport) est venu dire ses quatre vérités aux dirigeants. Exit la langue de bois, il a distribué les bons (un peu) et les mauvais (beaucoup) points devant un auditoire parfois sidéré. C’était la volonté de Frédéric Thiriez, président de la LFP: dresser un bilan sans concessions et tenir un discours de vérité pour faire bouger les choses.
Potentiel estimé : 130 millions d’euros de gains
Lors de la remise de sa feuille de route, Marshall Glickman a entendu Frédéric Thiriez lui dire que le modèle économique du football français n’était plus viable. Ce modèle, c’est celui de clubs ultra-dépendants des droits de retransmission. Même constat chez Marshall Glickman. Vous (les clubs) êtes dépendants à des revenus que vous ne contrôlez pas. La lecture du bilan des clubs pour la saison 2012-2013, avec un résultat négatif de 73 millions d’euros, m’a laissé pantois, a dit Marshall Glickman. Prenant l’exemple sur l’AS Roma, repris par les Américains James Pallotta, Thomas R. Di Benedetto, Michael Ruane et Richard D’Amore, Marshall constate que le club romain a multiplié par deux ses affluences au stade Olympique, que le club italien s’est lancé dans un projet de stade à 290 millions de dollars, qu’il s’est engagé dans une démarche de dialogue avec ses supporters avec les outils d’aujourd’hui (2 millions de j’aime sur Facebook ; 1er club à rejoindre la plate-forme Vine ; 1er club aussi à rejoindre Pinterest). Le tout alors que les stades se vident plutôt en Serie A.
Une fois l’échauffement passé, Marshall s’est lancé à l’attaque. Gagner une rencontre ne constitue pas une stratégie commerciale. Nous demandons aux présidents de s’impliquer, de faire des recettes match une priorité à l’avenir, ajoute-t-il. Un siège est un élément d’actif comme un joueur.
Selon G2 Strategic, les formations de Ligue 1 ont un potentiel devant eux de 130 millions d’euros d’augmentation de leurs recettes aux guichets. Comment ? En augmentant le prix moyen des billets, vos fans sont prêts à payer plus cher un spectacle de qualité appuie Marshall Glickman. Egalement en apprenant à transformer les acheteurs de billets au match en abonnés ou bien en consommateurs de pack (lot comprenant plusieurs matches). Des cinq principaux championnats européens, la Ligue 1 est, avec la Serie A, celle qui tire le moins de recettes des jours de match : 13 % seulement. L’indicateur double quasiment chez un club anglais alors que la Bundesliga est hors-concours avec un taux de 44 %. Pourquoi s’accrocher à la programmation des rencontres en soirée quand ses concurrents jouent l’après-midi pour favoriser un public familial et plus féminin ? Chaque cas mérite d’être étudié individuellement. Chaque club évolue sur un marché spécifique qu’il convient d’examiner botte en touche l’expert, avant d’appuyer à nouveau sur l’accélérateur. J’ai passé quinze jours en France au mois de juillet pour observer trois clubs. J’en tire la conclusion que certains vont droit dans le mur si leurs pratiques commerciales ne changent pas. La distribution de billets gratuitement n’est plus tolérable. Ou encore : Tout au long de mon séjour, on m’a parlé de budget, mais lorsque j’ai demandé qu’elle était le niveau de marge, on a été incapable de me répondre. Les clubs oublient de raisonner sur la marge.
Rentabiliser les sièges
Avec la construction et la rénovation des stades en cours, ce sont 100.000 places supplémentaires que les clubs devront apprendre à gérer grâce au legs de l’Euro 2016. Si la question du remplissage des enceintes est un faux problème (malgré l’une des affluences moyenne les plus faibles d’Europe), celle de la rentabilisation en est un. C’est un défi à relever pour nos clubs nous a confié Philippe Diallo, directeur général de l’UCPF. Déconnecter le marketing du sportif est une démarche qui demandera du temps pour le football français, estime le responsable de l’UCPF. Avant tout, dit-il, il faut arriver à faire des stades une source de profits pour les clubs français. Il convient sans doute de revoir la place que les clubs occupent dans l’exploitation de ces enceintes.
Il est temps de passer à l’action, conclut Frédéric Thiriez. Du temps, il en faudra pourtant. Les deux cabinets prévoient un audit au cas par cas des clubs qui le désirent. A ceux qui souhaitent s’entendre dire qu’ils ne savent pas commercialiser leur stade, un premier diagnostic sera dressé en janvier, avant la rédaction de recommandations en avril 2015.
Un livre blanc en préparation
L’UCPF, le syndicat des clubs, publiera dans les prochaines semaines un livre blanc comprenant des propositions destinées à améliorer la compétitivité du football français. Frédéric Thiriez, président de la LFP, s’en félicite, espérant que les pouvoirs publics retiennent quelques unes de ces solutions comme la suppression de la taxe sur les spectacle et la réintroduction du droit à l’image sous une nouvelle forme. A suivre.
