Le Sénat adopte à la quasi-unanimité la proposition de loi visant à réformer l’organisation du sport professionnel issue des recommandations du rapport de la mission d’information. Le texte ne s’adresse pas qu’au football, mais à force de donner le bâton pour se faire battre, celui-ci est clairement ciblé.
Issue des recommandations d’une commission d’enquête parlementaire très critique sur le train de vie du football professionnel, la proposition de loi des sénateurs Laurent Lafon (UDI) et Michel Savin (Les Républicains) a reçu l’approbation quasi unanime des sénateurs et le soutien du gouvernement malgré quelques couacs sur les amendements déposés. Réforme de la gouvernance des ligues professionnelles, rémunération des dirigeants plafonnée, meilleure redistribution des droits télévisés, encadrement des agents sportifs… Le texte a pour ambition de transformer en profondeur l’organisation du sport professionnel en France.
Et pourquoi donc ce texte alors que la dernière législation en date ne remonte qu’à mars 2022 avec la loi visant à démocratiser le sport en France ? C’est cette même loi qui a autorisé la création d’une filiale à la LFP pour commercialiser les droits audiovisuels avec le succès que l’on connaît. Face à « une crise de confiance », « des conflits d’intérêts voire des dérives » observées dans le football, « cette réforme est urgente », répond Laurent Lafon.
Son objectif : « clarifier la gouvernance d’un système aujourd’hui opaque et déresponsabilisant pour les
clubs ». Au départ, personne ne prêtait vraiment attention à la mission d’information déclenchée par la commission culturelle du Sénat. A l’arrivée du texte dans l’hémicycle de la chambre haute, certains dirigeants s’étranglent. Scruté de près par les Ligues professionnelles organisatrices des Championnats de France, dont la très puissante Ligue de football professionnel (LFP), mais beaucoup moins riche qu’avant, le texte propose notamment de faciliter, pour les fédérations la possibilité de retirer aux ligues leur « subdélégation de service public », en cas de « défaillance grave » ou de « difficulté sérieuse de financement », par exemple. La mesure, même si elle est strictement encadrée par un accord préalable du ministère des Sports notamment, vise sans détour le football, englué dans une crise de ses droits télévisés, au fil de conflits successifs avec ses diffuseurs (Canal+, Mediapro, DAZN…).
Des sociétés commerciales créées par les fédérations
Surtout, le texte permettra aux fédérations de créer leur propre « société commer-ciale » chargée des questions commerciales, en lieu et place des actuelles Ligues, une proposition choc partagée par le président de la Fédération française de football (FFF), Philippe Diallo. Ce qui enterrerait de facto la LFP. Cette nouvelle architecture instaurera « un cadre plus éthique, transparent et performant », une manière de « refonder la structure du sport professionnel français », a assuré Michel Savin, en pointe sur la question.
Le texte, en plus de permettre aux fédérations de créer une seconde ligue professionnelle dévolue au sport féminin, plafonne la rémunération des dirigeants de ligues ou de fédérations et interdit à ces derniers de toucher une commission sur les transactions relatives aux droits télévisés.
L’article pourrait s’appeler « Labrune » tant il fait référence au président de la LFP. A la suite du contrat signé en 2022 avec le fonds d’investissement CVC Capital Partners, qui avait apporté 1,5 milliard d’euros au football professionnel français contre environ 13 % de ses recettes commerciales à vie, le montant de la rémunération du président de la LFP avait triplé passant de 400.000 € à 1,2 M€ brut annuels, auxquels s’ajoutait un bonus de 3 M€. Une partie de cette somme a été refacturée à la société commerciale de la LFP. À peine réélu, Vincent Labrune, en échec sur la négociation des droits TV, s’était néanmoins engagé à baisser sa rémunération. Après un tour de passe-passe, le conseil d’administration de la LFP avait validé la rémunération de Vincent Labrune… à 800.000 €, doublant ainsi ses émoluments quand les recettes des clubs sont appelées à baisser durablement.
La rémunération des dirigeants plafonnée
« Au vu de la situation catastrophique du football professionnel français, les efforts n’ont pas été faits […] On est bien conscient que c’est le législateur qui doit fixer cette règle […] Tous ceux qui aiment le foot ne comprennent pas qu’on ait un président qui a plus de 800.000 € de revenus dans une période où le foot français est en pleine déconfiture », tance Michel Savin. C’est pourquoi l’article 1er de la proposition de loi prévoit de plafonner les rémunérations des présidents de ligues professionnelles, un plafond semblable à celui existant pour les entreprises publiques, soit 450.000 €. Surprise, lors de l’examen du texte, l’article a fait face à plusieurs amendements de suppression en provenance de la droite, du gouvernement et du groupe RDPI (à majorité Renaissance). De quoi choquer le rapporteur du texte. « C’est du football dont on parle. Les autres sports ne sont pas concernés », a rappelé Michel Savin. Avant d’interpeller directement la ministre des Sports, de la Jeunesse et de la Vie associative, Marie Barsacq : « Qui au gouvernement porte cet amendement pour retirer le plafond de rémunération du président de la ligue ? » Le sénateur a aussi souligné en parallèle que des efforts allaient être demandés à tous les Français dans le cadre du prochain budget. Embarrassée, la ministre n’a pas souhaité répondre à la question ni développer les raisons de cet amendement de suppression. Les mots de Michel Savin ont au moins convaincu le sénateur Didier Rambaud (RDPI) qui a retiré son amendement de suppression. En ce qui concerne celui du gouvernement, il a été rejeté à la quasi-unanimité.
Interdiction pour un patron de chaîne de siéger à la LFP
Dans le même ordre d’idée, un article cible Nasser Al-Khelaïfi. Le président du PSG, qui est à la fois le patron de beIN Sports, la chaîne qui diffuse le football français, et un membre du conseil d’administration de la LFP, ne pourrait plus cumuler les deux fonctions si la loi était promulguée. La proposition de loi « rend incompatible la fonction de dirigeant ou de membre de l’organe délibérant de la ligue professionnelle avec la détention d’intérêts ou l’exercice de fonctions au sein d’une entreprise de diffusion audiovisuelle ». En séance publique, le sénateur LR Paul Vidal a complété cette incompatibilité avec une société de paris sportifs.
Le texte aborde de nombreux aspects. L’écart de redistribution des revenus audiovisuels entre les clubs d’un même championnat serait également plafonné : le mieux loti ne pourrait toucher plus de trois fois plus que le moins bien doté – contre cinq fois actuellement dans le championnat de France.
Sur un sujet plus consensuel, le texte aborde la lutte contre le piratage. Selon l’ARCOM, pour l’année 2023, le manque à gagner causé par le piratage des retransmissions sportives représentait 290 M€. C’était avant la cession des droits TV de la Ligue 1 à DAZN qui n’a jamais réussi à rattraper un lancement commercial catastrophique, faisant le jeu des pirates. L’article 10 va permettre à l’ARCOM de « mettre en place un système automatisé afin d’assurer le blocage en temps réel, pendant la diffusion en direct d’un événement sportif, de l’accès à des sources de diffusion illicites », indique la proposition de loi.
En conclusion, Laurent Lafon a appelé à ce que son texte « poursuive son chemin dans les meilleurs délais ». Son examen est attendu dans les prochains mois à l’Assemblée nationale, un préalable à sa mise en œuvre. Son inscription à l’ordre du jour paraît envisageable, car l’exécutif a activé la « procédure accélérée » d’examen, qui facilitera son parcours législatif, avec une seule lecture programmée devant les deux chambres, avant son passage en commission mixte paritaire. Mais le texte ne devrait cependant pas être inscrit à l’agenda parlementaire avant la rentrée de septembre. Avec un objectif, toutefois : son entrée en vigueur pour la saison 2026-2027.


