Comme révélé depuis plusieurs mois, la réunion du collège des présidents de Ligue 1 le 14 juillet 2024 a été houleuse. Complément d’enquête (France 2) et L’Équipe dévoilent les conversations qui ont décidé de l’attribution des droits de retransmission de la Ligue 1 à DAZN et beIN Sports. Soupçons de conflits d’intérêts, invectives personnelles et coups de pression, la réunion illustre un football professionnel sous haute tension.
La date du 14 juillet 2024 paraît surréaliste compte tenu de l’importance de l’enjeu : valider l’attribution des droits de retransmission de la Ligue 1 pour la période 2024-2029. Le championnat doit reprendre quelques semaines plus tard. Pour décider d’un contrat à plusieurs centaines de millions d’euros par an, la quarantaine de personnes présentes se réunissent en visioconférence. C’est ce jour-là que les acteurs actent le choix de DAZN et beIN Sports pour la diffusion de la Ligue 1 pour l’équivalent de 500 M€ en moyenne par saison.
400 M€ pour DAZN en échange de huit rencontres et 98,5 M€ pour beIN Sports contre une rencontre par journée, incluant un étrange contrat de sponsoring valorisé 20 M€ encore inappliqué à ce jour. La décision sera prise à la quasi-unanimité (deux votes contre), non sans heurts.
Nasser Al-Khelaïfi, président du PSG, presse pour la solution incluant beIN Sports, chaîne qu’il dirige, et le nouvel entrant DAZN.
« Pourquoi ne pas donner le dernier match à DAZN ? » demande Joseph Oughourlian, son homologue du RC Lens. « On touchera un peu moins, on ne touchera pas les 100 M€. Mais, au moins, on aura toute la Ligue 1 sur une chaîne. » Nasser Al-Khelaïfi s’emporte : « Moi, je n’ai pas compris Joseph, peut-être que vous avez un problème avec beIN. Le plus important pour moi, ce sont les clubs. Notre objectif, c’est de prendre le maximum de cash aujourd’hui. » Sa position de président du conseil d’administration de la chaîne qatarie pose problème à Oughourlian : « Nasser, je pense que tu devrais respecter les autres présidents. […] Il faut que tu comprennes un concept qui visiblement vous échappe chez beIN, ou au PSG, ou aux deux, qui s’appelle le conflit d’intérêts. Tu intimides tout le monde. » Patron d’un fonds activiste (Amber Capital), Joseph Oughourlian défend la création d’une chaîne propre à la Ligue. Alors que Vincent Labrune, président de la LFP, brille par son silence, le président du PSG rabroue celui du RCL et monopolise la parole. « Tu es bon dans ton business mais tu ne comprends rien aux médias. » Le président parisien oublie – volontairement ? – qu’Oughourlian est actionnaire principal du groupe Prisa (éditeur des quotidiens El Pais, AS, les radios Cadena Ser et Radio Caracol, Santillana…), le premier groupe de médias espagnol. John Textor, président de l’OL, entre dans la danse. « Peut-être qu’un autre président que Nasser devrait parler. Nasser, tu es un tyran », lance-t-il. Réponse de l’intéressé : « John, arrête de parler, tu ne comprends rien. Tu viens de je ne sais où, cow-boy qui vient de nulle part et tu viens nous parler. » Il menacera ensuite de quitter la réunion.
Benjamin Morel, le directeur général de LFP Media, en a également pris pour son grade. « Tu as mis la ligue dans le pétrin. Si nous sommes dans cette situation aujourd’hui, c’est à cause de toi Ben », lui lance Nasser Al-Khelaïfi, farouche opposant au lancement d’une chaîne par la LFP.
Seul le dirigeant de Strasbourg Marc Keller s’interroge sur le coût pour le consommateur d’un ticket DAZN-beIN Sports. « Je ne vois pas les gens, nos consommateurs, nos supporters dans les villes acheter des abonnements à ce prix-là. » On connaît la suite…
Pourquoi DAZN attaque la LFP
Le conflit n’est pas près de s’arranger entre les deux parties. DAZN réclame à la Ligue de football professionnel (LFP) plus de 450 M€ d’indemnisation pour « tromperie sur la marchandise » et
« manquement observé » concernant le piratage.
Le diffuseur estime avoir été trompé sur l’offre, censée inclure un accès aux joueurs, coulisses et contenus exclusifs. Or, la réalité serait bien différente. DAZN juge aussi que les chiffres d’abonnés du cycle précédent (2021-2024) et les revenus annoncés étaient surestimés. Pour cela, il demande 278 M€, selon RMC Sport.
En parallèle, DAZN réclame 238 M€ pour le piratage, estimant que la LFP ne lutte pas suffisamment contre les retransmissions illégales. De plus, l’engagement marketing des clubs pour soutenir la plateforme n’aurait pas été respecté.
Ce n’est pas la première fois que la LFP est attaquée en justice par un diffuseur, Canal+ et beIN Sports l’ayant déjà fait sans succès. Dans le cas de DAZN, aucune audience n’est prévue pour l’instant, et une décision définitive pourrait prendre plusieurs années. Cette démarche semble donc avant tout destinée à renégocier le contrat.