Les défenseurs des parties concernés, un représentant de la Ligue de football professionnel (LFP) et un autre du ministère de l’Economie. Il y avait du beau monde devant la Cour d’appel de Paris pour savoir si Orange avait recours à une vente liée ou non. La réponse pourrait être connue le 4 juin prochain, date de l’énoncé du verdict. A moins que chaque camp ne mette sa menace à exécution et se pourvoie en cassation. En attendant, l’incertitude la plus totale plane sur ce dossier… très sensible.
Nous y sommes. Orange contre Free et SFR. Une bataille juridique qui concerne le sport professionnel, et le football au premier chef. La Cour d’appel de Paris dira le 4 juin si Orange peut à nouveau commercialiser sa chaîne Orange Sport, proposant notamment un match de Ligue 1 en exclusivité le samedi, à la souscription d’une offre triple play (télévision, téléphone et Internet). Si la réponse est négative, c’est toute la stratégie d’Orange d’achat de contenus exclusifs qui est remise en question. Et une très mauvaise nouvelle pour les détenteurs de droits, notamment sportifs. L’enjeu est si important que, dans l’attente dans éclaircissement de la situation, la Fédération française de tennis (FFT) préfère remettre à la rentrée prochaine son appel à candidatures pour les droits de retransmission de Roland-Garros.
Selon Mes Hugues Calvet et Robert Saint-Esteben, les avocats d’Orange, il n’y a pas de vente liée car l’offre triple-play est une pratique du marché, suivie par Free et SFR également. Ce sera la première fois qu’on condamne une offre liée alors qu’elle est non seulement un usage du marché mais une norme du marché ! ont-ils défendu. Dans sa démarche, l’opérateur est appuyé par la Ligue de footabll professionnel (LFP). Jacques Gunther, l’avocat de la Ligue de football, a insisté sur le besoin vital pour le football français de la manne des droits TV. Orange paie 203 millions d’euros par saison jusqu’en 2012 pour son exclusivité (pour les 38 matches du samedi soir, Orange met 140 millions d’euros dans la corbeille. Il convient d’ajouter 63 millions d’euros pour les droits sur le mobile et pour un magazine sur chaque journée de championnat en VOD). Canal Plus paie 465 millions d’euros. Pour soutenir un de ses puissants enchérisseurs, la LFP met également en avant une décision de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) du 23 avril spécifiant, dans une autre affaire, qu’interdire les offres liées était contraire à une directive européenne de 2005. Un bon point pour Orange. Evoquant la concurrence déloyale pratiquée par Orange, qui recrute des abonnés au téléphone ou à Internet seulement attirés par l’offre football et piégés, les avocats de Free et SFR ont chercher à démonté l’argument du droit communautaire, en nuançant la vente liée, évoquée par la loi belge incriminée par la CJCE, et la vente contrainte, pratiquée par Orange.
Si la présence de la LFP aux côtés d’Orange peut surprendre, que dire de celle d’un représentant du ministère de l’Economie, venu à la barre préciser que Bercy estimait que cette affaire relevait du droit de la concurrence. Les conseils d’Orange n’ont pas manqué de rebondir sur ce fait en rappelant que les pouvoirs publics avaient soutenu l’émergence des opérateurs télécoms sur le marché, pour concurrencer Canal Plus qui se retrouvait maître du terrain en 2005 après avoir absorbé TPS, son concurrent déchu.
Orange a sauvé l’appel d’offres 2008-2012 de la LFP. Sans le soutien d’Orange, le foot français serait en faillite, a déjà mis en garde le président de la LFP, Frédéric Thiriez. Les droits sportifs servent de munitions entre deux camps : Vivendi/Canal Plus, cachés derrière SFR (filiale à 56% de Vivendi) et Free, contre France Télécom/Orange. Canal Plus contestant l’avantage que donne à Orange la puissance financière de France Télécom.
Selon Orange, seuls 35% des 112.000 abonnés de la chaîne sont des nouveaux clients
Les avocats d’Orange ont tenté d’établir que Free et SFR n’ont pas subi de détournement de clientèle du seul fait qu’Orange Sport n’était pas disponible dans leur offre. Selon Orange, seuls 35% des 112.000 abonnés de la chaîne sont des nouveaux clients. Dans l’hypothèse où tous les nouveaux abonnés d’Orange Sport se seraient désabonnés de Free ou de SFR, les pertes respectives seraient d’environ 2.300 clients par mois chacun. Un tout petit détournement, plaide Orange, qui fait observer que, pendant ce temps-là, Free a conquis 485.000 nouveaux abonnés en 2008 et Neuf Cegetel 300.000 autres au cours de la même année.
On souhaite bonne chance aux juges pour démêler cet embrouillamini. Un premier jugement du tribunal de commerce (le 23 février) interdisait à Orange de subordonner l’abonnement à Orange Sport à une souscription triple play. Le tribunal de commerce s’était alors fondé sur l’article L 122-1 du Code du commerce qui interdit la vente liée : est interdit (…) de subordonner la vente d’un produit à l’achat d’une quantité imposée ou à l’achat concomitant d’un autre produit ou d’un autre service ainsi que de subordonner la prestation d’un service à celle d’un autre service ou à l’achat d’un produit. Limpide ?
En mai 2008, le Conseil de la concurrence avait jugé que les offres multiservices proposées par les FAI (fournisseur d’accès à Internet) constituent un produit unique. Dans ce cadre, l’offre triple play qui permet aux consommateurs, chez Free, ou SFR comme chez Orange, de s’abonner au téléphone, à la télévision et à l’Internet haut débit n’est pas considérée comme une vente liée… Mais pris au pied de la lettre, l’article L 122-1 fait pourtant de ce marché un secteur en pleine illégalité.
112.000 abonnés à Orange Sport
Orange comptait fin mars 363.000 clients à ses chaînes payantes Orange Sport et Orange Cinéma Séries. Dans un climat judiciaire tendu, France Télécom a accepté de détailler les chiffres par chaîne : il compte 112.000 abonnés à Orange Sport et 251.000 à Orange Cinéma Séries. Parmi les clients d’Orange Sport, quelques dizaines de pour cent ont déjà été abonnés à Canal Plus, a précisé Hervé Payan, directeur des services de contenus et des partenariats chez Orange.
Au total, un client ADSL sur quatre de l’opérateur utilise des services de télévision, soit 2,2 millions de personnes, a indiqué France Télécom, qui publiait mercredi ses résultats trimestriels. L’opérateur comptait fin mars 8,5 millions de clients ADSL, soit 49,2% du marché. France Télécom a réalisé au premier trimestre un chiffre d’affaires de 12,685 milliards d’euros, en baisse de 2,6% mais en hausse de 0,4% à base comparable, affecté selon lui par l’environnement économique en détérioriation.