La Ligue de football professionnel (LFP) lance son très attendu appel d’offres sur les droits de retransmission de la Ligue 1 pour la période 2008-2012. Le football professionnel joue gros. Décryptage de la situation.
Après des mois de palabres sur la valeur supposée du football professionnel, les acteurs vont, enfin, entrer dans le vif du sujet. La Ligue de football professionnel (LFP) lance officiellement son appel à candidatures pour les droits audiovisuels de la Ligue 1 pour la période 2008-2012 en divulguant les différents lots proposés aux opérateurs avec l’ambition avouée de faire au moins aussi bien que les 650 millions annuels qu’elle perçoit depuis 2005, dont 600 millions de la part de Canal +. L’enjeu est simple. Mais le processus est complexe comme on le verra plus loin.
Pas de stars, mais des investissements sur le long terme
De petites phrases sournoises en constats amers, la question mérite d’être posée : où est passé l’argent de Canal + ? A combler une partie du retard des clubs sur leurs homologues européens. Les clubs ont profité de cette manne pour investir davantage dans le long terme que dans le recrutement de stars. La chaîne cryptée aurait préféré une plus grande audace qui aurait rendu le spectacle plus attrayant. Exemple : le LOSC. Le club a financé (pour 20 millions d’euros) en totalité le domaine de Luchin, un site de 43 hectares, centre de vie du club qui regroupe toutes les composantes du LOSC : six terrains de football et un septième en synthétique, une fosse pour gardiens de but, une piste d’athlétisme, une piste d’accélération, 7.000 m2 où se concentrent les bureaux administratifs du club, les vestiaires, bureaux des entraîneurs, salle de musculation…
Autre effet du chèque de Canal+ : les clubs ont assaini leurs finances. En 2005-2006, après cinq années de pertes d’affilée, les clubs de L1 ont à nouveau dégagé des bénéfices d’exploitation (28 millions contre une perte de 32 millions encore la saison précédente) et réalisé un chiffre d’affaires de 910 millions d’euros, en hausse de 31%.
Forte progression des salaires
Mais du point de vue des dirigeants de Canal +, les clubs ont été trop près de leurs sous. Une équation quasiment insoluble pour le foot français, selon Philippe Diallo, directeur de l’Union des clubs professionnels français (UCPF). Le différentiel avec l’étranger est trop important, que ce soit au niveau des montants des droits TV, des charges sociales, des ressources du sponsoring et de la capacité des stades. Malgré tout, grâce aux subsides de Canal +, la France est restée la quatrième puissance d’Europe à l’indice UEFA. Même si Monaco a atteint la finale de la Ligue des champions et Marseille, celle de l’UEFA en 2004, il est vrai également que la France est toujours l’oubliée des palmarès.
Depuis 2005-2006 et la signature du contrat avec Canal +, la moyenne des salaires mensuels en Ligue 1 a progressé de presque 10.000 euros. La masse salariale représente près de 70% des budgets des clubs. Cette saison, la moyenne est passée à 44.000 euros brut, contre 38.000 en 2006-2007 et 35.000 en 2005-2006. Et pourtant, la France ne peut toujours pas lutter avec les autres championnats européens. La fuite des talents s’est poursuivie l’été dernier. La L1 est la reine de l’export. Ses clubs ont vendu pour 178 millions d’euros à l’étranger alors que les achats n’ont coûté que 45 millions. Lyon aurait pu s’aligner sur le transfert de Ribéry au Bayern (25 millions d’euros), mais pas sur les 4 millions d’euros nets de salaire annuel offerts par le club bavarois.
Pour mesurer la valeur d’un championnat, estime Alexandre Bompard, directeur des sports de Canal +, il faut se poser plusieurs questions : combien de ses clubs gagnent des compétitions européennes? Combien de grands joueurs des cinq meilleures nations y participent ? L’affluence moyenne dans les stades est-elle très élevée ? Le nombre de buts est-il important ? Et quel est le barème UEFA du pays en question ? Autant de critères où la Ligue 1 est à la traîne.
Canal + a-t-il sauvé le football… ou l’inverse ?
Je ne comprends pas qu’on puisse balancer sur un produit que l’on a acheté si cher, avait répondu Olivier Sadran, président du Toulouse FC. C’est une stratégie incompréhensible. Les 600 millions, ils ont d’abord servi à sauver Canal. Grâce au foot, la chaîne crypté a tué TPS, elle est maintenant bénéficiaire et elle compte 300.000 abonnés supplémentaires. Mais elle trouve que le spectacle est minable. Il ne faut pas tout mélanger.
Le football a beaucoup apporté à Canal. Les droits de la L1 lui ont permis d’éliminer son concurrent et de devenir une chaîne incontournable a surenchéri Michel Seydoux, président du LOSC.
Il est vrai que le visage de Canal + a bien changé. D’ici 2010, le groupe vise un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros et un résultat d’exploitation de 1 milliard. Disposant, avec le 1,4 million d’abonnés à TPS, d’une base de 10,2 millions d’abonnés, Canal + souhaite en compter 11,5 millions d’ici à 2010. Ce qui signifie un chiffre d’affaires supérieur de 700 millions à celui réalisé en 2006 par Canal + et TPS. L’intégration de TPS va lui permettre d’économiser plus de 350 millions d’euros, répartis entre la distribution (entre 50 et 75 millions), les frais techniques et de structure (entre 50 et 75 millions) et les programmes (jusqu’à 250 millions).
On tourne autour, mais la question demeure : quel est le juste prix d’une compétition ? La présence de stars constitue un élément essentiel de sa valeur. Ce sont elles qui produisent le spectacle, qui attirent le public, les partenaires et les médias. La beauté du jeu participe également à la valeur d’un spectacle: équipes compétitives, intensité dramatique. La valeur du championnat ayant été établie à quelque 600 millions il y a trois ans, à combien l’estimer aujourd’hui ?
Bachelot juge le prix correct
Il y a matière à débats. Les stars? Elles ont fui le pays. La beauté du jeu ? Appréciations subjectives mais également objectives (buts marqués, état d’esprit, etc.) A peine nommée au ministère de la santé, des Sports, Roselyne Bachelot a fait une sortie remarquée en apportant son soutien à la L1 : Je pense que le Championnat vaut 600 millions d’euros a confié la ministre à L’Equipe.
Mais de quoi parle-t-on au fait? La Ligue met en vente la diffusion des rencontres décalées de L1 (diffusées actuellement par Canal +), le magazine dominical (détenu par France 2), les droits mobiles (Orange) et la vidéo à la demande (Canal +). Seulement, le paysage audiovisuel a singulièrement évolué depuis trois ans. A la suite de la fusion entre les deux bouquets satellites, effective depuis janvier dernier, il ne reste plus qu’un seul opérateur d’envergure capable d’acquérir les principaux lots (Canal +), avec le danger pour la LFP de voir les prix tirés à la baisse. S’ajoutent à cela les critiques qui s’abattent sur la qualité du championnat puisqu’il est devenu de bon ton de souligner la pénurie de buts, la domination excessive de Lyon, le manque de compétitivité des clubs français sur la scène européenne et leur incapacité à retenir leurs principales vedettes.
Plessis : à 400 millions d’euros, ce sera la faillite
A l’arrivée, une baisse des droits paraît donc possible. Ce qui serait une première depuis 1984 et la création de Canal +. S’ils tombent à 400 millions d’euros, ce sera la faillite du football avance Jean-Claude Plessis, président du FC Sochaux et de la commission marketing de la Ligue.
Une telle perspective encouragerait chacun à sauver sa peau dans son coin. Certains imaginent même que les grands clubs (le FAP ?) anticipent l’échec de l’appel d’offres de la Ligue pour profiter de la situation. Ils espéreraient récupérer les droits que la LFP ne serait pas parvenue à vendre pour les commercialiser en solo. La loi est pour la Ligue. Mais au niveau européen, Bruxelles oblige déjà l’UEFA à laisser les clubs commercialiser eux-mêmes les droits de la Ligue des champions qu’elle n’aurait pas été en mesure de vendre.
Dans ce contexte difficile, la LFP conserve néanmoins des atouts. On me dit Quelle est la valeur du championnat ?, s’était interrogé Frédéric Thiriez, président de la LFP, le 2 septembre sur France 2. Je retourne la question : Quelle est la valeur de Canal + sans le football. Elle est nulle. Canal+ a besoin de la L1.
Les clubs n’ont pas le choix. Ils ont besoin de l’argent de la chaîne cryptée. Mais Canal a également besoin du foot. Même si Canal + a panaché son offre de contenus, le sport reste une des principales raisons d’abonnement, devant le cinéma. Pour élargir son public, la chaîne ne lésine pas sur les moyens : 800 millions d’euros par an en achats de droits tous sports confondus (80 sports diffusés) pour alimenter Canal +, Canal + Sport, Sport+, TPS Star et TPS Foot. Un chiffre qui ne comprend pas la production.
Depuis deux ans, Canal mène donc une politique de diversification dans d’autres sports, comme avec le rugby. Mais l’audience du ballon ovale reste encore inférieure à celle du football. De l’ordre de 50 à 70%. Mais à un prix bien inférieur à celui de la L1 aussi. Top 14 et Pro D2 ne coûtent que 27,5 millions par an. La chaîne a-t-elle vraiment intérêt à se priver du spectacle préféré des Français selon un sondage de l’institut TNS Sport ? Bien sûr que non. Le cinéma est confronté à la démultiplication de ses sources de diffusion. Seul le sport, et le football en particulier, parce qu’il est un événement récurrent et en direct, est et restera encore longtemps le principal produit d’appel.
Jean-Michel Aulas, président de Lyon, a répété que les prochains droits télé ne seraient pas inférieurs à 750 millions d’euros par saison. Réponse de Jean-Bernard Levy, président du directoire de Vivendi, propriétaire de Canal +, qui a déclaré vouloir faire des économies, notamment dans l’acquisition des droits télé : Dans quelle devise ?
Un calendrier bouleversé pour faire monter les enchères
Pour continuer à faire progresser la principale source de recettes des clubs français, la Ligue a concocté un appel d’offres jamais vu en France. Douze lots sont proposés aux diffuseurs. Il n’y en avait que quatre lors du précédent appel à candidatures. La LFP apporte également des retouches à sa compétition. Un match décalé est programmé le samedi soir à 21 heures, en plus de celui du dimanche soir. Le samedi, six rencontres se disputeront à 19 heures (contre 20h actuellement). Et le dimanche, deux, et parfois trois matches lors des semaines avec les compétitions européennes, sont prévus à 15 heures.
Canal + pourrait maintenir une offre forte, tout en faisant baisser sa facture
Ce canevas présente l’avantage d’offrir deux primes-time, l’un le samedi et l’autre le dimanche. Le magazine dominical en clair pourrait alors être déplacé en fin d’après-midi au lieu de midi actuellement. Il pourrait aussi proposer les résumés de neuf matches sur les dix, contre sept aujourd’hui et démarrer tout de suite après les deux matches du dimanche après-midi, ce qui lui donnerait une plus grande fraîcheur.
Par ce biais, la LFP veut attirer de nouveaux acteurs comme les opérateurs de téléphonie mobile ou des câblo-opérateurs tels que Numéricâble, déjà détenteur des droits de la Ligue 2 avec Eurosport. Qui aurait pensé qu’Arena (câblo-opérateur allemand) puisse mettre 500 millions d’euros sur la table avec 500.000 abonnés ? Mais Canal + paraît vouloir se concentrer sur les lots les plus importants. L’ensemble des lots dits premiums paraît d’ailleurs taillé sur mesure pour la chaîne cryptée.
En multipliant ses lots pour maximiser ses recettes afin d’attirer de nouveaux diffuseurs, la LFP fait également le jeu de Canal +. Dans ce contexte, la chaîne pourrait rafler les principaux lots et maintenir une offre forte, tout en faisant baisser sa facture finale.
Autre interrogation, et de taille, autour du prix de réserve qui sera déposé par la Ligue, auprès d’un huissier. Seul décideur en la matière, Frédéric Thiriez prendra-t-il le risque de déclarer l’appel d’offres infructueux si le prix plancher n’est pas atteint ? Et dans ce cas, les clubs ne pourraient-ils pas en prendre prétexte pour remettre en cause la vente centralisée des droits ?
Pour mobiliser ses troupes, Frédéric Thiriez a lancé le programme Foot Pro 2012. Un plan de développement avec des objectifs précis : victoire d’un club français en ligue des champions; une L1 classée 3e au classement UEFA ; une équipe de France comprenant deux tiers des joueurs issus de la Ligue 1; un arbitrage professionnel et assisté de la vidéo; un chiffre d’affaires de 1,5 milliard d’euros; des recettes de matches représentant 25% des ressources des clubs, organisation de l’Euro 2016.
En conclusion, il paraît aujourd’hui certain que l’exclusivité de Canal + sur le football français n’aura pas de suite. La Ligue l’a parfaitement compris. Son interrogation concerne les ambitions des autres acteurs. Chaînes hertziennes, chaînes de la TNT, câblo-opérateurs, et opérateurs mobiles vont-ils être séduits par les lots proposés ?
L’enjeu de cette consultation ne concerne pas uniquement le football français. A la hausse ou la baisse, les clubs de Ligue 1 resteront télé-dépendants – lors de la saison 2005-2006, la recette moyenne par spectateur a été de 18 euros. Elle s’est élevée de 22 euros en Italie, 24 en Allemagne, 33 en Espagne et 51 en Angleterre. Mais compte tenu du nouveau calendrier proposé par la Ligue et des montants qui seront investis par les chaînes, c’est l’ensemble du paysage audiovisuel sportif français qui devrait s’en trouver bouleversé.
Après la Ligue, chacun va devoir abattre ses cartes.
Les lots proposés
Selon la procédure adoptée. L’appel à candidature est officiellement ouvert depuis le vendredi 30 novembre. Les offres des candidats devront être parvenues à la LFP, au plus tard, pour le 22 janvier 2008. La LFP officialisera ensuite le nom des gagnants le 31 janvier 2008 après avoir étudier les offres sur le plan qualitatif et quantitatif.
LOTS PREMIUM
– Lot 1 : Top 10 (les 10 meilleures affiches de la saison)
– Lot 2 : Le grand match du dimanche soir (28 matches)
– Lot 3 : Le grand match du samedi soir (38 matches)
Le titulaire du lot 1 exercera ses choix de matches en premier.
LOTS FANS
– Lot 1 : Tous les matches de six clubs
– Lot 2 : Tous les matches de sept clubs
– Lot 3 : Tous les matches de sept clubs
Pour chacun des lots, tous matches des clubs choisis (le titulaire du lot 1 choisira en premier parmi les 20 clubs de L1. Celui qui aura remporté le deuxième lot choisira parmi les 19 autres qui restent et ainsi de suite) seront diffusés en direct le samedi à 19h et le dimanche à 15h. Les matches seront diffusés en différé pour les matches premium.
LOT MULTIPLEX ET MAGAZINES
– Lot 1 : Multiplex (les journées 1, 20, 37 et 38 en multiplex, soit lors de la première journée de championnat, de la première journée des matches retour et lors des deux dernières journées du championnat)
– Lot 2 : Magazine Ligue 1 (les images de la Ligue 1, le samedi soir et le dimanche soir)
– Lot 3 : Magazine toutes compétitions (toutes les images des compétitions de la LFP, le dimanche matin ou en fin d’après-midi)
– Lot 4 : Magazine du lundi (analyse de la journée écoulée avec toutes les images de la Ligue 1)
– Lot 5 : Magazine VOD (les images de la L1 à la demande, dès le dimanche minuit et pendant toute la semaine)
LOT MOBILE
– Lot 1 : La Ligue 1 sur le mobile (Diffusion des matches en direct l’après-midi, tous les autres en quasi-direct et les résumés dès la fin des matches et pendant une semaine)