La Russie souhaite transformer ses montagnes du Caucase en stations de sports d’hiver. Un enjeu à la fois économique et politique. Pour les entreprises et les stations françaises, loin de redouter cette concurrence, ce développement du ski en Russie est la perspective de nouveaux débouchés. Explications.
L’ambition est là : pour contrer le terrorisme qui sévit dans cette région, le gouvernement russe ambitionne de développer le tourisme. Il souhaite créer d’ici à 2015 cinq stations de sports d’hiver dans le Caucase. Un projet chiffré à 15 milliards de dollars dans un premier temps et qui, à horizon 2025, aura nécessité de 75 à 80 milliards d’euros. La Russie cherche à le promouvoir auprès des investisseurs étrangers.
Pour ce faire, la Russie s’intéresse à nos montagnes et tout particulièrement à Courchevel qui servirait de modèle. La North Caucasus Resorts Company (NCRC), entreprise d’Etat, est missionnée par Moscou pour étudier le savoir-faire français en matière d’aménagement de stations de ski. France Neige International (FNI), association qui aide les entreprises françaises du secteur de la montagne à décrocher des marchés à l’étranger, explique cet attrait par les plans d’aménagement et la législation créés en France à l’occasion du plan Neige des années 1960.
Pour faire du Caucase une destination touristique de premier ordre, Akhmed Bilalov, président du conseil de la NCRC, compte par exemple développer une station sur le mont Elbrus, deuxième plus haute station (4.164 mètres) construite dans le cadre du projet Peak 5.642, plus haut sommet du Caucase. Les quatre autres stations se trouveront à Mamison (3.732 m) en Ossétie du Nord, à Arkhyz (3.071 m) en Karachai-Circassie, à Matlas (2.767 m) au Daguestan et à Lagonaki (2.450 m) dans l’état d’Adyguée. Les plus hautes autorités s’impliquent dans le dossier. Le président russe Dmitri Medvedev s’est rendu à Davos lors du forum économique mondial pour chercher des investisseurs prêts à prendre le risque de participer à cette première tranche de travaux que la Russie a décidé de financer à hauteur de 2 milliards de dollars. En 2014, le monde viendra à Sotchi, et nous voulons qu’il continue à revenir dans la région, a indiqué Medvedev à cette occasion, en faisant allusion aux futurs Jeux olympiques d’hiver dans cette station des bords de la mer Noire. La construction des cinq stations de sports d’hiver n’est pas directement liée aux JO de Sotchi. Mais ses promoteurs espèrent que l’élan des Jeux olympiques encouragera les touristes russes à pratiquer davantage le ski et attirera les étrangers dans une région en proie à des conflits récurrents : ici les troupes russes ont combattu les rebelles tchétchènes dans les années 1990 ; elles sont intervenues en 2008 dans la Géorgie voisine et doivent encore affronter les insurgés islamistes.
Objectif : cinq millions de visiteurs d’ici 2020
NCRC et ses partenaires n’envisagent pas un seul instant de se retirer. Qu’obtiennent les terroristes pour le Caucase ? Rien. Ce sont des nihilistes, assure Akhmed Bilalov, vice-président également du Comité olympique russe. NCRC promet 160.000 emplois nouveaux. D’ici 2020, NCRC table sur cinq millions de visiteurs russes ou étrangers (150.000 par jour) pour ses nouvelles stations avec des hôtels pouvant héberger jusqu’à 90.000 personnes et des tarifs bon marché : 50 dollars en moyenne par nuitée en hôtellerie selon les projections avec un pass ski offrant un accès à toutes les stations pour 20 à 30 dollars par jour. La proximité de la région avec l’Asie signifie qu’elle est de plus en plus accessible pour un marché grandissant de skieurs. Aujourd’hui, seulement deux pour cent des Russes ont déjà skié.
Le développement profite toujours aux leaders
Dans le Caucase, nous partons de zéro, s’est exprimé Akhmed Bilalov à Chambéry, face aux professionnels de la montagne. Nous voulons les meilleures stations au monde qui soient ouvertes toute l’année. Nous n’avons pas cette expertise en Russie. Nous déplacerons des montagnes pour travailler avec les meilleures sociétés, où qu’elles se trouvent.
Devant cette volonté affichée de promouvoir les stations de ski du Caucase, les sports d’hiver français doivent-ils craindre cette concurrence nouvelle ? Pas du tout, répond Xavier Dullin, président de France Neige International. L’histoire nous a enseigné que, systématiquement, lorsqu’un pays se développe dans un marché mondialisé, ce sont les leaders qui en profitent, fait-il remarquer. Le marché des sports d’hiver est un marché lié à la croissance des pratiquants, continue Xavier Dullin. On ne peut que se réjouir du développement annoncé du ski en Russie. D’après le président de France Neige International, les autorités russes viennent chercher de l’expertise et notre pluralité d’innovations en termes d’ingénierie de la montagne. Les entreprises françaises auraient pris une longueur d’avance. Beaucoup participant déjà au chantier des JO de Sotchi. Poma construit les remontées mécaniques, Johnson Controls Neige enneige la station de Laura, Abest réalise des routes et des retenues collinaires, etc. Nous avons besoin d’un renouvellement de notre marché, car notre économie et notre savoir-faire ne peuvent plus se contenter des marchés matures, conclut Xavier Dullin.