Benjamin Sorge présente un profil singulier. Aujourd’hui directeur marketing de PokerStars France, le leader du poker en ligne, il a occupé le même poste au sein d’Unibet France, depuis Londres, entre 2006 et 2010, et a vécu à ce titre l’ouverture du marché français et les débats juridiques et judiciaires qui l’ont précédée. Rencontré à l’occasion de l’European Poker Tour de Deauville, dont PokersStars est sponsor-titre, fin janvier, Benjamin Sorge nous a fait part de son expérience
LA LETTRE DU SPORT Comment êtes-vous devenu le spécialiste que vous êtes sur ce marché naissant des jeux d’argent en ligne en France ? Quel est votre parcours ?
Benjamin Sorge Je suis titulaire d’un Master en marketing international et je suis depuis 2000 impliqué sur la thématique des paris en ligne. A l’époque, j’ai participé à l’aventure de la société News Futures, qui proposait des prévisions et pronostics économiques et sportifs. En 2005, j’ai fait un passage chez AC Nielsen/Netratings. Puis en 2006 j’ai rejoint Unibet à Londres, pour diriger la politique CRM puis marketing de l’opérateur sur la France. J’ai à ce titre vécu toute la période de pré-ouverture du marché français. En mars 2010, j’ai rejoint PokerStars France en tant que directeur marketing.
Comment avez-vous vécu cette période que vous appelez pudiquement de pré-ouverture mais qui, concrètement, était une période au cours de laquelle Unibet opérait de façon illégale en France ?
C’était une période très particulière. Aprés une non-tolérance des opérateurs de jeux en ligne (Affaire Bwin/Monaco en septembre 2006, Equipe de cyclisme d’Unibet), nous sommes rentres dans un dialogue constructif et une zone grise où les opérateurs avaient accès à certains médias (affiliation, presse spécialisée,..) mais pas a d’autres (télévision, grand média). L’ouverture du marché français était en cours, à un rythme que nous ne maîtrisions pas. En liaison avec les autres opérateurs, nous menions des opérations de lobbying et de consultation auprès des députés, sénateurs et autres personnes en charge du dossier (ndlr : en particulier François Trucy et Bruno Durieux, dont les rapports ont largement inspiré la loi française) pour que ce marché devienne régulé. Ce qui fut fait en juin 2010.
Vous avez donc participé au montage du dossier de demande de licence pour Unibet, puis vécu concrètement l’ouverture du marché avec PokerStars. Pouvez-vous nous parler de cette période ?
Le fait le plus marquant pour les personnes qui ont vécu cette ouverture de l’intérieur, c’est l’épaisseur du dossier réclamé par l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) pour la demande d’agrément. C’était à peine croyable. Il nous a fallu monter un dossier de 4.320 pages dans un laps de temps très court ! Les équipes de chaque opérateur pour la France étaient très réduites à l’époque. La charge de travail était vraiment colossale. Lorsque j’ai rejoint PokerStars en mars 2010, nous n’étions que 3 personnes en France. Aujourd’hui, nous sommes 47, dont 7 au marketing.
Un peu moins d’un an après l’ouverture du marché français, quel premier bilan en tirez-vous ?
Il y a deux manières de voir les choses : en terme de part de marché et en terme financier. Concernant les parts de marchés, nous sommes satisfaits car nous sommes assez nettement leaders devant Winamax, puis un trio composé d’Everest Poker, le réseau PartyPoker (dont le PMU) et le réseau Ongame (dont Eurosport Poker et Sajoo). Nous avons connu un pic de 117.000 joueurs simultanés et un tournoi record online avec 20.409 joueurs inscrits pour 1 euro chacun, le 29 décembre 2010. D’un point de vue financier, la situation est moins rose pour tous les opérateurs. Nous avons tous lourdement investi au cours du premier semestre et nous sommes globalement en dessous de nos prévisions financières. Entre la validation des comptes et la taxe qui réduit la durée dun dépôt fait par un joueur, il est difficile de recruter des joueurs avec une durée de vie satisfaisante. Parallèlement il y a une très forte concurrence qui a pour conséquence une augmentation du coût d’acquisition. Par conséquent, il est difficile d’être rentable avec la taxe actuelle. PokerStars compte 37 millions de membres dans le monde. La France n’est donc pour l’heure qu’une petite partie du marché de la marque.
PokerStars est à la fois partenaire de tournois prestigieux et d’émissions de télé-réalité comme La Maison du bluff. Comment assumez-vous ce grand écart ?
Nous menons une stratégie globale de démocratisation du poker, qui passe par des émissions de TV grand public et une démarche de sponsoring d’événements majeurs et de stars du poker. L’enjeu est qu’à terme, le poker soit considéré comme un sport à part entière. Pour qu’il ne soit plus associé à un jeu d’argent avec l’image sulfureuse que cela implique. Mais aussi pour que nous puissions, comme dans le sponsoring sportif classique, assumer du placement produit. Nous aurions en outre plus de facilité à attirer des co-sponsors hors captifs (marques de produits hors poker) pour les événements que nous organisons.
Le débat sur le statut de poker en tant que sport à part entière est donc autant économique que philosophique ?
Oui, même si ce débat ne nous appartient pas en tant qu’acteur commercial. Nous suivons à distance le lobbying des fédérations pour que le poker soit d’abord reconnu comme un jeu de stratégie et non plus un jeu de hasard puis, dans un deuxième temps, comme un sport. Plusieurs pays ont déjà franchi le pas. La France suivra peut-être un jour…