Le conflit entre Nafissatou Thiam et la Fédération belge d’athlétisme dépasse la simple querelle interne. Il expose un choc entre deux logiques économiques : celle du sport institutionnel fondé sur le sponsoring collectif, et celle de l’athlète-marque, autonome et mondialisée.
La polémique est partie d’un code de conduite fédéral assorti d’une prime de 500 €, conditionnée à la signature du document avant les Mondiaux de Tokyo. Nafissatou Thiam, triple championne olympique et double championne du monde d’heptathlon, a refusé de le signer en raison de clauses sur le droit à l’image jugées intrusives, et d’incompatibilités entre ses partenaires (Nike, Axa) et ceux de sa fédération (Asics, Allianz). Cette décision lui a valu d’être écartée du camp d’entraînement, privée de son kiné et plongée dans un climat de tension avant la compétition, qu’elle a finalement abandonnée au deuxième jour après une performance inhabituelle. Ce qui aurait pu rester une question contractuelle est devenu une crise de gouvernance à fort retentissement médiatique.
L’enjeu : qui contrôle l’image ?
Les déclarations de Ludwig Peetroons, président de l’aile flamande de la fédération, ont accentué la rupture. En accusant Thiam d’avoir « effacé les logos des sponsors fédéraux sur ses photos » et d’avoir « fait perdre un partenaire majeur » (Tempo Team en 2018, ndlr), il a mis en lumière la bataille économique qui se joue autour de la visibilité.
L’affaire illustre les limites d’un modèle fédéral hérité du XXe siècle. Dans le sport olympique, les fédérations négocient des contrats collectifs censés bénéficier à tous les athlètes, mais cette mutualisation est contestée par les figures les plus médiatiques, capables d’attirer seules des partenaires. Thiam n’est plus simplement une athlète : elle incarne une marque internationale, avec ses valeurs et ses partenaires. Son influence dépasse celle de l’institution. Les fédérations, elles, peinent à s’adapter à cette réalité commerciale et à la nécessité de concilier intérêts collectifs et droits individuels.
Pour les sponsors, cette crise rappelle que le sport n’est plus un espace neutre de visibilité. Les valeurs d’indépendance, d’authenticité et de transparence comptent désormais autant que la performance. Une gestion maladroite du dialogue entre fédérations et athlètes peut fragiliser l’image d’un partenaire perçu comme coercitif ou déconnecté des attentes du public. À l’inverse, les marques qui accompagnent les athlètes dans leur singularité – à l’image de Nike avec Thiam – capitalisent sur un storytelling d’émancipation et de leadership féminin. Le rapport de force entre fédérations et entreprises s’en trouve inversé : ce sont les sportifs qui dictent aujourd’hui les codes du marketing.