LInstitut régional du développement du sport publie une impressionnante étude sur les terrains de grands jeux sur son territoire. Face au manque évident déquipements, lIRDS sinterroge sur le rôle que pourrait jouer les surfaces synthétiques dans les prochaines décennies. Et plus particulièrement au cur de lagglomération, confronté au développement de la pratique et au manque de disponibilités foncières. Focus.
«Les pratiques de football et de rugby sont en constante augmentation», constate lIRDS qui fait le constat dune carence régionale en terrains de grands jeux. Il existe de nombreuses disparités territoriales. «On dénombrait, en 2010, 3 270 terrains de grands jeux en Ile-de-France. Si lon se réfère à la moyenne nationale, la région est globalement sous-équipée.» Une étude de novembre 2008 réalisée par lAtelier parisien durbanisme (Apur), à laquelle lIRDS était associée, sur les équipements de football et de rugby a confirmé une offre insuffisante dans le secteur de Paris et la petite couronne. Elle a par ailleurs noté dimportantes disparités avec des communes et certains arrondissements de Paris, qui ne détiennent aucun terrain. En outre, un rapport de la direction régionale de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion sociale (DRJSCS), réalisé en 2009, conclut à un besoin régional de 482 terrains de grands jeux supplémentaires, en tenant compte de lévolution potentielle de la pratique. Létude précise que certains terrains seraient à créer, dautres à transformer en synthétique, afin que lamplitude horaire dutilisation puisse compenser la rareté du foncier limitant les nouvelles implantations. Enfin, lIAU Ile-de-France et lIRDS ont mis au point des cartes fondées sur des calculs daccessibilité aux équipements qui confirment un état de carence sur la zone centrale du territoire, mais pas uniquement.
Comment réduire le déficit de terrains ?
«Avant denvisager la création de terrains de grands jeux pour pallier linsuffisance de loffre, il convient de sinterroger sur le potentiel doptimisation des équipements existants. Deux possibilités sont offertes : dune part léclairage des terrains, afin de développer lamplitude journalière dutilisation de léquipement, notamment en hiver (occupation des terrains rendue possible au-delà de 17 h 30), dautre part la pose dun revêtement artificiel qui résiste mieux aux intempéries et augmente lamplitude annuelle et journalière dutilisation (fin de limmobilisation des terrains en période hivernale lors des épisodes de gels, de neige ou de fortes pluies).» Lutilisation dun terrain synthétique est quasi illimitée, contre une limitation à six heures en principe, par semaine, pour le gazon naturel, afin de préserver la qualité de la surface de jeu. «Après observation des données du recensement des équipements sportifs du ministère (RES), on constate que la moitié des terrains de grands jeux franciliens sont éclairés. Léclairage est plus fréquent sur les terrains de lagglomération centrale, à lexception de Paris. Cependant, sur les trois départements de petite couronne, il semble quil reste des possibilités doptimiser encore lutilisation de certains équipements en les éclairant et, pour certains, en les réhabilitant (terrains en stabilisé). A Paris, les marges de manuvre sont réduites. Les nombreux terrains situés dans les plaines de jeux des espaces boisés classés de Vincennes et de Boulogne ne peuvent bénéficier dun éclairage.» Seulement 11 % des terrains franciliens disposent dun revêtement synthétique. Assez logiquement, la zone dense de lagglomération offre, en proportion, plus de terrains synthétiques que les départements de grande couronne : 21 % du parc pour Paris et la petite couronne, contre 6 % en grande couronne. «Les communes de ces secteurs ont déjà amorcé, face à la pénurie, une optimisation des espaces existants. Cependant, avec moins du quart des terrains déclarés en synthétique dans le RES, il semble quil y ait encore des développements potentiels, notamment en Seine- Saint-Denis ou dans le Val-de-Marne. A Paris, létude de lApur soulignait que les capacités intra-muros étaient quasi épuisées. En effet, les terrains pouvant être transformés en synthétique lont presque tous été au cours des cinq dernières années.»
Largument financier : investissement et coût de revient des terrains synthétiques
Le coût du synthétique en termes dinvestissement pour les communes est trois à quatre fois supérieur à celui du gazon naturel, mais son prix de revient ramené à lheure dutilisation est nettement plus avantageux. Les terrains stabilisés (sable, schiste, mâchefer) sont, au final, les plus économiques. Ils sont cependant en perte de vitesse depuis larrivée des synthétiques. Cette surface comporte de nombreux inconvénients : sol «accidentogène», dur ou glissant, balle trop rapide, très sensible aux conditions météorologiques (gels, fortes pluies, sécheresse) Reste la question essentielle : combien les terrains synthétiques coûtent-ils ? Selon les sources, les chiffres diffèrent. Le coût dinvestissement pour un synthétique serait de lordre de 530 000 à 700 000 euros contre 80 000 à 250 000 euros pour un gazon naturel. «Le prix de revient dun synthétique varierait entre 32 euros de lheure et 57 euros contre 70 à 190 euros pour le gazon naturel.» En réalité, les différents documents techniques renseignant sur les coûts du synthétique ne prennent pas en compte les mêmes références de calcul, que ce soit pour linvestissement de départ (terrain seul ou infrastructures, drainage, irrigation, main courante, éclairage etc.), pour lentretien, voire la régénération (fluides, périodicité des travaux, etc.), ou encore la durée dutilisation hebdomadaire et annuel de léquipement. «En outre, les coûts évoluent selon lannée de référence. Difficile dy voir clair donc, mais, quoi quil en soit, lavantage revient toujours aux surfaces synthétiques, lesquelles, compte tenu de leurs taux dutilisation, sont en définitive systématiquement plus rentables sur dix ans. En effet, le coût horaire dun synthétique dépend fortement du niveau dintensité dutilisation du terrain que lon décide de retenir. Il varie fortement en fonction du nombre de semaines dutilisation fixé dans lannée et du nombre dheures de jeu prévu dans la semaine. Il faut donc être attentif aux variables intégrées dans les calculs. Théoriquement, un gazon synthétique peut supporter sans problème soixante heures dutilisation hebdomadaire, voire plus, sur cinquante deux semaines, ce qui diminue très nettement son prix de revient horaire. Dans la pratique, il nest pas certain que ces taux dutilisation soient effectifs. Tout dépendra de la configuration de la demande locale, notamment celle des pratiquants en journée, la semaine (proximité ou non détablissements denseignement). Il faut donc estimer précisément lutilisation future du terrain (occupation actuelle et potentielle) et les équipements daccompagnement qui seront peut-être nécessaires à son fonctionnement dans une configuration optimale (vestiaires supplémentaires, éclairage, etc.). Ceci afin dévaluer le prix de revient réel de léquipement et éviter des réhabilitations ou des créations fondées sur des coûts de revient horaires trop hypothétiques.» Outre ses capacités dusage plus intensif, le synthétique a pour atout de présenter un moindre coût dentretien. Toutefois, cet argument est moins déterminant que lintensité dutilisation. Le gazon synthétique demande, pour une optimisation de sa durée de vie, évaluée entre dix et quinze ans, un entretien annuel qui se compose dopérations hebdomadaires ou mensuelles (brossage à laide dune machine spécifique, apport de matériaux de remplissage), trimestrielles (élimination des éléments extérieurs contaminants, décompactage), occasionnelles (remplacement des zones usées). Par ailleurs, le coût de remplacement dun synthétique arrivé en fin de vie nest généralement pas indiqué dans les documents de référence. «Le principal avantage du gazon synthétique reste donc son intensité dutilisation, qui permet de répondre à une demande croissante de pratiquants. Cet aspect est essentiel dans des zones carencées en équipements, particulièrement dans les zones fortement urbanisées où lespace est rare et cher. En contrepartie, il faut sinterroger sur limpact environnemental engendré par la généralisation de ce type de surface.»
Largument environnemental: des produits en évolution constante
Les deux principaux arguments de vente des fabricants de sols synthétiques en matière environnemental portent sur la diminution des dépenses en eau et lutilisation dengrais et de pesticides. «Néanmoins, sil est vrai que lentretien des surfaces en herbe peut conduire à lutilisation de produits néfastes pour lenvironnement, dautres traitements naturels sont possibles. Il pourrait être envisagé dinciter les communes à y recourir plus systématiquement. Dautre part, en réponse à des inquiétudes émises sur la nocivité des composants synthétiques pour les joueurs et sur les risques de contamination des eaux pluviales ayant traversé ce type de sol, une évaluation environnementale et sanitaire de lutilisation de granulats délastomères (vierges et issus de granulats pneumatiques usagés) a été menée. Cette étude a été effectuée pour le compte dAliapur, société en charge de la valorisation de 85 % des pneumatiques mis sur le marché français, en partenariat avec la société Fieldturf-Tarkett et lAdeme (Agence de lenvironnement et de la maîtrise de lénergie).» A partir de 2005, un programme détudes scientifiques a été confié au groupement dintérêt scientifique français, EEDEMS, qui regroupe les compétences dorganismes publics et privés référents dans le domaine des matériaux et produits de construction. Ces travaux ont porté sur le suivi de la qualité des eaux transférées dans le milieu naturel après leur passage au travers des composants des sols sportifs, ainsi que sur lévaluation des émissions gazeuses générées par ces sols. Les conclusions sont plutôt positives.
Elles indiquent que les concentrations en composés organiques, métaux et anions sont compatibles avec les exigences de qualité de ressource en eau. Dun point de vue «écotoxicologique», la nature des eaux ayant traversé un gazon synthétique de troisième génération se révèle sans impact sur lenvironnement, quel que soit le granulat de remplissage. Enfin, en ce qui concerne les risques sanitaires liés à des émissions de COV (composés organiques volatiles) et daldéhydes, plusieurs études ont montré quils ne sont pas significatifs et que la pratique de sports sur ce type de terrain, en extérieur comme en intérieur (gymnase), est sans risque. Bien que les analyses de métaux aient identifié la présence de chrome, de cobalt et de plomb dans certains matériaux, ces derniers ne sont pas émis dans lair. Si le synthétique offre certains atouts en matière environnemental, un point épineux demeure : le traitement des déchets (250 tonnes de matériaux) lorsque le revêtement arrive en fin de vie, particulièrement lorsquil contient des granulats déjà issus dun premier recyclage (SBR). La question du retraitement de ces gazons, dont la durée de vie maximum est de quinze ans, se pose dores et déjà, puisquun certain nombre de terrains implantés dans le milieu des années 1990 vont atteindre leur âge limite dexploitation. Cependant, dautres produits, peu utilisés encore, commencent à voir le jour. Une société a mis récemment sur le marché un synthétique dont le remplissage, naturel, est composé de fibres organiques dorigine végétal (coco et liège). Ce matériau pourrait être recyclé pour un usage agricole. Divers atouts devraient logiquement favoriser son développement : une installation et un entretien déclarés aussi aisés que les autres types de surfaces, une gamme diversifiée (allant du terrain dentraînement au terrain de compétition de haut niveau), un impact environnemental bien moindre que les sols comprenant des granulats délastomères. Une question demeure encore sur le plan environnemental, propre à lagglomération parisienne, qui ne relève pas de la composition des produits, mais dune problématique plus large liée à lurbanisation.
Le maintien de la nature en ville, une question environnementale plus large
LIRDS souligne un point important : Le développement du synthétique contribue, à sa mesure, à la réduction des sols «naturels». Or, tous les environnementalistes préconisent, particulièrement dans le coeur très urbanisé de lagglomération, de maintenir, voire de développer autant que possible, les surfaces perméables (friches, parcs, jardins, etc.). «En effet, la percolation verticale offerte par les espaces perméables offre une meilleure «climatisation» de la ville (restitution durant les épisodes secs de leau pluviale absorbée, sous forme de vapeur qui participe au refroidissement de la ville). En outre, les sols imperméables provoquent le ruissellement des eaux de pluie qui doivent ensuite être récupérées, puis acheminées vers le réseau communal qui, lui-même, conduit dans la grande majorité des cas à des cours deau. Or, plus une zone urbaine raréfie ses espaces perméables, plus elle encourt de risques dinondation en cas de fortes pluies. Les climatologues prévoient une augmentation des phénomènes de pluies violentes (plus fréquentes et plus fortes) et donc des risques encourus.» Les terrains synthétiques sont perméables en surface, mais les eaux infiltrées dans la seconde couche sont rejetées par un système de drainage dans le réseau urbain.
Autre élément de réflexion : les terrains de grands jeux en milieu urbain dense entrent inévitablement en concurrence avec dautres espaces, par exemple les parcs et jardins. Or, à lheure actuelle, laccès à ces terrains est le plus souvent réservé aux seuls sportifs affiliés à des clubs et aux écoles. Le grand public ny a généralement pas droit dentrée. De plus, ces espaces sont parfois laissés vides en semaine, en journée. Dans une vision prospective, il faudrait réfléchir à une approche différente de leur usage, les repenser comme des espaces urbains sportifs plus ouverts, véritables lieux de vie et danimation du quartier, accueillant la diversité des demandes (sociales, éducatives, sportives, de santé et de loisirs pour tous).
Le développement du synthétique a bel et bien commencé
Le développement des terrains en synthétique a commencé depuis une dizaine dannée déjà, mais le processus sest accéléré depuis quatre à cinq ans. Lévolution des techniques et des coûts a permis de répondre à une demande latente. Le lobbying exercé par les fabricants auprès des fédérations pour obtenir lhomologation de ce type de surfaces ny est dailleurs pas étranger. Le soutien de lEtat, des régions et des départements est, lui aussi, très important. «Des régions ou des départements, à limage de Rhône-Alpes ou du Bas-Rhin, ont mis en place des programmes de développement de terrains synthétiques de grands jeux en y consacrant des enveloppes budgétaires particulières. Dautres collectivités subventionnent des terrains synthétiques de manière «indirecte», à travers différentes lignes dinvestissements comme celles liées aux contrats territoriaux, à la politique de la ville ou encore aux équipements sportifs des lycées.» Ainsi, lIRDS rappelle que la région Ile-de-France a financé, entre 2004 et 2009, un peu plus dune vingtaine déquipements, dont certains ont bénéficié des plans daides FFF et FFR. Aujourdhui, cette dernière sinterroge sur la possibilité de mettre en place une aide spécifique à destination des communes et groupements de communes maîtres douvrage dans la réalisation de terrains avec surface de jeu artificielle. Cette aide viendrait compléter les interventions régionales préexistantes. LEtat, via le CNDS (centre national de Développement du Sport) a financé pour sa part 32 terrains (création ou réhabilitation) entre 2004 et 2009 pour un montant de 3,788 millions deuros.
Vers un schéma de cohérence des terrains de grands jeux ?
«Afin dintégrer une dimension daménagement du territoire et de remédier aux déséquilibres territoriaux, il apparaît souhaitable que la Région sappuie sur une vue densemble de la situation régionale en matière de terrains de grands jeux. Cette démarche doit permettre doptimiser lutilisation des moyens en période de tension des ressources publiques ; elle doit permettre de satisfaire, dans la mesure du possible, lensemble des pratiquants, de favoriser le plein emploi des équipements et, enfin, de répondre à limpératif de solidarité entre les territoires», indique la région.
En effet, sil est possible, dans des cas précis, de mêler le football et le rugby sur une même surface, quen est-il pour dautres sports : hockey sur gazon, softball, baseball? «Du seul point de vue des dimensions des surfaces de jeux, il est en théorie possible de créer des équipements omnisports à destination des grands jeux de plein air. Cependant, la question de la classification par les fédérations respectives de ces terrains pour la compétition (nombre de tracés visibles au sol, type de gazon synthétique, etc.) devra se poser. Il convient donc dévaluer, pour chaque discipline, où se situent les besoins : en compétition, en entraînement.»
Pour conclure, lIle-de-France est donc insuffisamment dotée en terrains de grands jeux, ce qui limite le développement des pratiques en football, rugby ou bien encore en hockey sur gazon, baseball Cette situation est particulièrement marquée dans le centre de lagglomération, mais aussi en certains endroits de grande couronne. Les surfaces synthétiques présentent de sérieux avantages pour pallier ce déficit. Il permet daugmenter très nettement les créneaux horaires, à la fois en semaine mais aussi dans lannée, lorsque, lhiver, les terrains en herbe deviennent impraticables. Seul point faible, un investissement élevé pour une durée de vie assez courte. Ce coût, cependant, pourrait être amorti dans le temps, grâce aux économies effectuées sur lentretien, mais aussi et essentiellement grâce à un taux dutilisation optimisé de léquipement.
«Pour cela, il faudra sassurer de son usage en journée (écoles primaires, collèges, lycées, universités, entreprises) et, bien sûr, en fin de journée, dans la semaine, avec plusieurs clubs dune même discipline (partage si nécessaire avec les communes avoisinantes) ou bien de disciplines différentes.»
La réflexion doit être menée en gardant à lesprit ce paradoxe : opter pour la polyvalence de léquipement peut conduire à une guerre des créneaux entre pratiquants et, par ailleurs, nen satisfaire aucun. Il ne sagit donc pas seulement de se poser la question du synthétique, mais bien de sinterroger sur les usages actuels et futurs de léquipement à réhabiliter ou à créer. Les réponses apportées peuvent-être multiples.
Demeure la question plus large du maintien de la nature en ville, qui devient un enjeu majeur (biodiversité, climatologie). Enfin, noublions pas que, dans une vision prospective, il convient de sinterroger également sur la transformation de la demande sociale et lévolution des pratiques qui conduisent à une modification de la taille des terrains : plus petits, couverts ou semi-couverts…
Les réticences au synthétique
LIRDS souligne très justement que le coût de construction est élevé pour une durée de vie relativement courte (dix à quinze ans maximum). Par ailleurs, des questions se posent encore sur limpact environnemental de ce type de revêtement, même si les fabricants sévertuent à démontrer que cest un produit «propre» (recyclage des surfaces, perméabilité ou récupération et infiltration des eaux de pluie in situ). Le partage quotidien des usages (tensions les soirs de semaine, à partir de 18 heures ou encore sur les créneaux du mercredi après-midi, lorsque la demande est forte et multiforme) reste un problème à gérer. Enfin, force est de constater que de multiples disciplines sont à la recherche de grands espaces de jeux en plein air qui leur permettent de se développer en Ile-de-France (baseball, softball, football américain, hockey sur gazon) «Comment peut-on les prendre en compte dans une réflexion élargie ?», sinterroge lIRDS.