La dernière étape de la Vuelta, interrompue à Madrid par des manifestations pro-palestiniennes visant l’équipe Israel Premier Tech, a mis en lumière la vulnérabilité du cyclisme. Les coureurs stoppés à 50 km de l’arrivée, un podium improvisé sur le parking de l’hôtel du vainqueur Jonas Vingegaard… la scène a choqué autant qu’elle a inquiété les acteurs économiques de la discipline.
Désormais il est clair qu’une course cycliste offre une tribune efficace pour des revendications. La prochaine fois ce sera pire », a alerté le coureur polonais d’Ineos-Grenadiers, Michal Kwiatkowski, inquiet d’un précédent lourd de conséquences pour le peloton. Au centre des tensions, l’équipe Israel Premier Tech, financée par le milliardaire israélo-canadien Sylvan Adams. Son simple nom a suffi à déclencher les protestations. Déjà prise pour cible sur d’autres courses (Tour d’Italie, Tour de France), la formation bénéficie pourtant d’invitations automatiques grâce à son classement sportif. Sur la Vuelta, elle a retiré le mot « Israel » de son maillot, mais a refusé d’abandonner. « Ce serait la fin non seulement de notre équipe mais de toutes les autres. Demain, ils viseront Bahrain, UAE ou Astana. Ce serait un engrenage sans fin », a défendu Adams. À la différence que la dimension politique de ces équipes est sans commune mesure avec Israel Premier Tech.Javier Guillen, directeur de la Vuelta, se dit impuissant : « On a alerté l’UCI. Sans leur autorisation, on ne pouvait rien faire, cela aurait eu des conséquences judiciaires. » Suggérant qu’un retrait d’Israel Premier Tech aurait pu apaiser la situation, il a renvoyé la responsabilité à l’Union cycliste internationale. L’UCI, qui a rappelé « l’importance de la neutralité politique » dans le sport, n’a depuis plus communiqué.
ASO en première ligne
Derrière la Vuelta, c’est le Tour de France qui est visé. L’organisateur Amaury Sport Organisation (ASO), propriétaire du Tour, de la Vuelta et du Dauphiné entre autres choses, sait qu’il gère un actif évalué à plusieurs centaines de millions d’euros, vitrine mondiale du cyclisme et produit phare des diffuseurs. La Grande Boucle rassemble chaque été 190 pays et des partenaires officiels par dizaines – de LCL à E.Leclerc en passant par Skoda ou Continental – qui investissent précisément pour associer leur image à une fête populaire et familiale. Un scénario de chaos tel que celui de Madrid viendrait dévaluer cette image et fragiliser la confiance des sponsors. Pour ASO, qui ne peut ni fermer totalement la route ni instaurer une billetterie, l’équation devient stratégique.
Le spectre catalan pour 2026
L’urgence pour ASO tient au calendrier : en 2026, les trois premières étapes du Tour partiront de Barcelone. Si l’Espagne a montré avec la Vuelta la popularité de la cause palestinienne, la Catalogne ajoute une autre dimension : une forte mobilisation indépendantiste, rompue aux actions de rue. Le risque de voir se superposer revendications politiques locales et slogans anti-Israël est réel. Pour les organisateurs, cela signifie un dispositif de sécurité hors normes, des coûts accrus et une exposition médiatique incontrôlable.
Les partenaires du Tour – dont certains groupes internationaux particulièrement sensibles aux polémiques géopolitiques – redoutent une association de leur image à des scènes de chaos. Pour eux, l’atout majeur du Tour est sa puissance médiatique et une visibilité incomparable. Mais cette visibilité devient à double tranchant. À l’heure où le cyclisme se vend comme un sport durable et rassembleur, la politisation des routes menace directement son attractivité commerciale. Un incident répété pourrait freiner l’engagement de marques globales, déjà soucieuses de neutralité.
ASO n’a pas encore communiqué. Mais l’équilibre est délicat : sécuriser sans dénaturer, rassurer les sponsors tout en maintenant la gratuité, préserver l’universalité du Tour tout en tenant compte des tensions géopolitiques. Le constat est clair : tant qu’Israel Premier Tech figure dans le peloton, chaque grande course est exposée à des perturbations.