Le naming, pratique consistant à associer le nom d’une marque à une enceinte sportive moyennant le versement d’une redevance, s’est imposé comme une source de financement incontournable pour les gestionnaires de stades. « Groupama Stadium », « Orange Vélodrome », « Adidas Arena », « Accor Arena » ou encore « Allianz Riviera » en constituent quelques-uns des exemples les plus notoires. En 2023, la valeur moyenne d’un contrat de naming de stade avoisinait ainsi les 4 M€. Mais lorsque l’édifice en cause est une œuvre architecturale protégée par le droit d’auteur, une interrogation inédite se fait jour : l’architecte est-il fondé à revendiquer une contrepartie financière à l’occasion de la conclusion d’un contrat de naming ? Le cabinet Fajgenbaum apporte des éclaircissements sur le sujet.
Le jugement rendu le 4 septembre 2025 par le Tribunal judiciaire de Toulon, relatif au stade Jean-Bouin à Paris, offre une illustration particulièrement éclairante des enjeux juridiques et contractuels en présence.
Dans cette affaire, la société gestionnaire du stade Jean-Bouin et Rudy Ricciotti – à qui avait été confiée la rénovation de l’enceinte sportive – avaient conclu un contrat aux termes duquel l’architecte s’engageait à ne pas s’opposer à la conclusion d’un contrat de naming « pour autant qu’une négociation portant sur les droits patrimoniaux de l’Architecte permettant au partenaire d’exploiter l’image du stade sans le dénaturer et dans des conditions notamment financières à définir » soit conduite de bonne foi entre les parties. Toutefois, à défaut d’un accord sur ces modalités, le Tribunal a finalement fixé la rémunération « au titre d’un éventuel contrat de naming » à un montant annuel de 25.000 €.
Peut-on en déduire que les architectes seraient désormais fondés à revendiquer, de manière systématique, un droit à être financièrement associés aux contrats de naming des stades et autres enceintes sportives ? Assurément non. Le Tribunal écarte explicitement une telle prétention, rappelant qu’un contrat de naming non encore conclu ne saurait en tant que tel ouvrir droit à rémunération au titre des droits moraux, en l’absence d’une atteinte ou d’une dénaturation de l’œuvre susceptible d’être indemnisée. Les droits patrimoniaux de l’architecte ne sont pas davantage mobilisables, aucune reproduction ni représentation de l’œuvre protégée n’étant réalisée à l’occasion du processus d’apposition d’un nom de marque sur le stade. Le Tribunal relève en outre que « la rémunération d’un architecte dans le cadre d’un contrat de naming n’est pas une pratique connue en l’état » et que l’expertise avait précisément constaté l’absence de toute « justification économique » à une telle rémunération.
Il est notoire que les relations entre architectes et propriétaires d’immeubles se tendent à se crisper lorsque sont en cause les prérogatives du droit moral dont les premiers demeurent investis sur leurs créations. La Cour de cassation a notamment dit pour doit que, si la vocation utilitaire d’un bâtiment commandé à un architecte interdit à celui-ci d’imposer une intangibilité absolue de son œuvre, il importe cependant que les modifications apportées n’excèdent pas ce qui est strictement nécessaire à l’adaptation de l’œuvre à des besoins nouveaux et ne soient pas disproportionnées au regard du but poursuivi. Le jugement du 4 septembre 2025 précise à cet égard que le propriétaire d’un stade n’est nullement tenu à contracter avec l’architecte toute modification quelconque de son œuvre, dès lors que celle-ci n’est pas dénaturée et que le nouveau prestataire agirait à l’égard de son confrère conformément aux règles déontologiques de la profession d’architecte en pareil cas. En d’autres termes, les droits d’auteur de l’architecte n’ont pas vocation à lui assurer une rente financière attachée à toute évolution ou adaptation de sa création.
En définitive, si Rudy Ricciotti est parvenu à se voir reconnaitre un droit à rémunération à l’occasion du naming du stade Jean-Bouin, c’est non pas en vertu d’une prérogative légale mais exclusivement en application du contrat préalablement conclu avec le gestionnaire de l’enceinte sportive. Le contrat demeure en effet la loi des parties (art. 1103 du Code civil). Aussi, pour spectaculaire qu’elle puisse paraître, la solution retenue par le Tribunal judiciaire de Toulon ne saurait être surestimée ni, surtout, généralisée : hors stipulation contractuelle expresse, rien ne justifie qu’un architecte tire un quelconque avantage financier du contrat de naming conclu par les exploitants d’une enceinte sportive. Loin de constituer un terrain d’extension du droit d’auteur, le naming des stades relève donc avant tout de la négociation commerciale, dont la portée demeure strictement circonscrite à la commune intention des parties.
Thibault LACHACINSKI
Fabienne FAJGENBAUM
Avocats à la Cour
Cabinet FAJGENBAUM
