Il reste encore du temps avant le prochain appel d’offres de la Ligue de football professionnel (LFP) pour les droits TV de la Ligue 1. Mais les déclarations de Stéphane Richard, le successeur de Didier Lombard à la tête de France Télécom (effectif le 1er mars prochain), ne sont pas rassurantes. Ni pour la LFP, ni pour le sport professionnel.
Stéphane Richard s’interroge à haute voix sur la stratégie d’investissement dans les contenus conduite par son prédécesseur, à l’origine des chaînes Orange Cinéma et Orange Sport. Cette dernière concurrençant Canal Plus sur les droits de diffusion de la Ligue 1 et de biens autres sports. Est-ce qu’il y a une vocation de France Télécom à éditer des chaînes de télévision ? La question est ouverte, a-t-il déclaré à Reuters. Il ajoutait : Est-ce que la vocation de France Télécom n’est pas de proposer les meilleurs contenus d’où qu’ils viennent pour ses offres, dans un monde où les exclusivités vont être de plus en plus difficiles à pratiquer ? Didier Lombard lui a, indirectement, répondu en soulignant que la stratégie d’investissement dans les contenus a permis de gagner et de conserver de nombreux clients.
Stéphane Richard va-t-il remettre à plat cette stratégie d’une activité qui pèse infiniment moins dans les comptes du groupe que l’intérêt médiatique qu’elle suscite ? Reste qu’avec moins d’un demi-million d’abonnés, les chaînes Orange n’ont pas encore capté un volant suffisant de souscripteurs pour équilibrer un niveau de dépenses aussi important. Les seuls droits de la Ligue 1 coutent 203 millions d’euros par an à Orange.
Le projet LFP TV ressort des cartons
Stéphane Richard préparait donc son groupe à suivre une nouvelle stratégie, qui ne serait plus celle des contenus, mais basé sur les tuyaux que maîtrisent France Télécom. Dans cette hypothèse, l’opérateur historique laisserait Canal Plus sans rival, ou presque, lors du prochain appel au marché de la LFP. Et sans concurrence, la Ligue devra faire preuve d’imagination pour maintenir le train de vie de ses clubs : Canal Plus et Orange versent 668 millions d’euros par an sur les clubs professionnels jusqu’en 2012.
La LFP prépare la parade. Elle réfléchit à l’opportunité de disposer de sa propre chaîne de télévision. Le projet est pensé pour doter le football professionnel d’un levier innovant et pertinent dans la négociation des droits de diffusion de ses compétitions, du fait notamment de l’incertitude qui pèse quant au maintien d’une véritable concurrence sur le marché de l’acquisition de droits, indique un document émanant de la direction marketing de la LFP, révélé par le journal L’Equipe. La LFP deviendrait le producteur à part entière de son propre championnat, pour un investissement compris entre 20 et 30 millions d’euros, et cèderait ses droits au plus offrant. Le quotidien sportif dévoile également quelle serait la programmation de cette chaîne commercialisée sur la TNT et/ou sur CanalSat dès la saison prochaine.
Le laboratoire de la Ligue 2
Alors que le championnat est aujourd’hui diffusé par Eurosport et Ma Chaîne Sport, la Ligue 2, dont le prochain appel d’offres est en préparation et sera lancé officiellement le 24 février, servirait de laboratoire avec une programmation étirée. Soit quatre matches programmés simultanément le vendredi soir (diffusés sous la forme d’un multiplex) ; trois matches le samedi après-midi (à 14h, 16h et 18h) ; deux matches le dimanche (à 14h et 16h) et enfin un dernier match le lundi soir. Un programme illisible pour les supporters, mais capable de satisfaire les diffuseurs.
L’idée d’une chaîne de télévision dédiée n’est pas nouvelle. Le Comité national olympique et sportif français (CNOSF) songe lui aussi à lancer son propre canal afin de promouvoir diverses disciplines à l’audience confidentielle. En son temps, Gérard Bourgoin, alors président de la LNF, avait également rêvé d’une chaîne du football français, avant que le projet ne capote. Le dossier avait été repris par Frédéric Thiriez en 2004. Un rapport avait été même demandé sur le sujet à Michèle Cotta, ancienne directrice générale de France 2. Là encore, l’idée n’avait pas été poussée plus loin. En juillet 2004, Michèle Cotta arrivait à la conclusion que la création d’une chaîne LFP ne peut être envisagée que s’il ne reste qu’un seul des deux bouquets satellite actuellement diffuseurs du championnat. On n’en est pas là, mais si cette situation changeait, la LFP pourrait être amenée à envisager la solution de créer sa chaîne. A l’époque, elle avait présenté deux projets de chaîne : l’une sur abonnement diffusant toutes les images de tous les matches, qui remplacerait alors les autres diffuseurs, et l’autre plus axée sur la diffusion en continu d’informations de football, qui serait compatible avec l’existence d’autres diffuseurs.
Une initiative similaire avait été engagée il y a trois ans par la ligue de football belge et s’était soldée par un échec. A force d’y penser, cette chaîne, appelons-la LFP TV, pourrait bel et bien finir par voir le jour. Mais pas tout de suite. Pour générer des recettes équivalentes, 668 millions d’euros par an pour la L1, LFP TV devrait compter au moins 2,7 millions d’abonnés à 20 euros par mois par exemple. Ambitieux, non ?
A moins que la LFP ne tente un coup de poker en misant (c’est le cas de le dire) sur l’appétit des opérateurs de paris en ligne. Attendus comme une bouée de sauvetage sur le marché de la publicité, les nouveaux opérateurs auront-ils la capacité de s’offrir des images en exclusivité de la L1 dans deux ans ? La récente conclusion d’un accord de diffusion avec le site de partage de vidéos Dailymotion, sur la Coupe de la Ligue, prouve en tout cas que la LFP s’intéresse de très près aux nouveaux médias.
Exclusivité : Pas d’intervention du législateur
L’Autorité de la concurrence avait recommandé en juillet dernier de limiter à un ou deux ans la distribution exclusive des chaînes d’Orange à ses seuls abonnés à l’ADSL et de réguler les clauses du marché de la distribution des chaînes payantes, sur lequel CanalSat (groupe Vivendi) est prépondérant. A la suite de la remise du rapport Hagelsteen, le gouvernement n’estime pas nécessaire de modifier le cadre législatif existant relatif à la télévision payante.
Le premier Ministre François Fillon considère que la concurrence sur ce secteur et sa régulation doivent être renforcées, compte tenu notamment des enjeux qu’ils représentent pour le financement du sport et de la culture. Pour autant, une modification du cadre législatif relatif à la régulation de la télévision payante n’apparaît pas nécessaire dans l’immédiat. Le problème de l’exclusivité des chaînes payantes ne sera donc pas réglé par une loi. L’Autorité de la concurrence devrait communiquer d’ici cet été sa décision à la suite de la plainte pour vente liée déposée en février 2009 par Canal Plus et SFR contre Orange à qui elles reprochent de vendre à perte ses matches de Ligue 1.