Oui et non ! Oui, car il bénéficie de la liberté d’expression comme toute autre personne. Non, car il ne doit pas en abuser sous peine de sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’à la rupture de son contrat de travail. Mais quelle est la limite entre l’us et l’abus de la liberté d’expression ? Le joueur de football jouit de la liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
Analyse de l’arrêt rendu par la cour de Cassation le 28 avril 2011 (pourvoi n°10-30107) par Laurent Carrié, Avocat Associé DEPREZ-GUIGNOT & Associés.
Monsieur X, que nous appellerons ci-après le Joueur, avait été embauché par un club professionnel en qualité de footballeur professionnel dans le cadre d’un contrat à durée déterminée, à compter du 1er juillet 2006. Le 23 mars 2007, le Joueur est convoqué par son club à un entretien préalable à la rupture anticipée de son contrat de travail pour faute grave et mis à pied à titre conservatoire. Le club rompt de manière anticipée son contrat pour faute grave par lettre en date du 25 avril 2007.
Motif ? Le Joueur avait adopté un comportement de nature à discréditer l’autorité de l’entraîneur sur le groupe professionnel et, par suite, à déstabiliser ce dernier, un comportement résolument conflictuel et sans véritable justification en mettant en cause de manière répétée dans la presse les méthodes de gestion de son entraîneur et le fonctionnement du club et déposer, en donnant à son action une large publicité, une plainte pénale manifestement infondée à l’encontre de son entraîneur.
Il avait notamment dit dans la presse qu’il jugeait ses conditions de travail discriminatoires, il avait accusé son entraîneur de manquer de cohérence et de diplomatie et de salir les joueurs pour laver sa responsabilité dans un contexte où il est vrai l’entraîneur ne s’était pas gêné pour dire ce qu’il pensait des qualités professionnelles du Joueur.
Le Joueur contestait avoir abusé de sa liberté d’expression et donc le bienfondé de la rupture anticipée de son contrat. Il saisit le Conseil de Prud’hommes qui lui donna partiellement raison. Un appel ayant été régularisé, la Cour a confirmé le jugement du Conseil de Prud’hommes accordant au joueur le bénéfice de l’intégralité de ses demandes. C’est cette décision qui était déférée par le club à la Cour de Cassation.
Solution retenue
Le club reprochait à l’arrêt de la Cour d’Appel de Reims d’avoir considéré que le Joueur n’avait pas abusé de sa liberté d’expression alors qu’un footballeur professionnel est tenu d’une obligation particulière de loyauté lui interdisant d’adopter un comportement de nature à discréditer l’autorité de l’entraîneur sur le groupe et, par suite, à déstabiliser ce dernier. Le club estimait encore que commet ainsi une faute grave le joueur professionnel qui, après avoir sollicité sa mise à l’écart du groupe, adopte un comportement résolument conflictuel et sans véritable justification en mettant en cause de manière répétée les méthodes de gestion de son entraîneur et le fonctionnement du club et qui dépose, en donnant à son action une large publicité, une plainte pénale manifestement infondée à l’encontre de son entraîneur.
La Cour de Cassation rejette le pourvoi du club rappelant que sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées. Elle estime que la Cour d’Appel a pu valablement décider que le Joueur n’avait pas abusé de sa liberté d’expression dès lors qu’il avait été constaté que :
– le Joueur avait tenu les propos reprochés dans la presse alors que de son côté l’entraîneur avait affirmé que le joueur n’avait plus le niveau de Ligue 1 et était très orgueilleux et égocentrique ;
– le Président du club n’avait pu ou avait été incapable d’arrêter un lynchage médiatique ;
– les propos reprochés s’inscrivant dans une polémique médiatique avec l’entraîneur.
Que penser de cette décision ?
La solution retenue est en droite ligne avec la jurisprudence. L’abus de la liberté d’expression n’est caractérisé que lorsque les propos sont jugés injurieux, diffamatoires ou excessifs (Cass.Soc. 2 mai 2001, pourvoi n°98-45.532). Dès lors que la Cour d’Appel n’avait pas relevé de caractère injurieux, diffamatoire ou excessif aux propos tenus, le pourvoir n’avait que peu de chance de prospérer, d’autant que les propos reprochés s’inscrivaient dans une polémique.
Reste une question : la solution aurait-elle été la même si, comme bien souvent dans les contrats d’image conclus par des annonceurs avec des sportifs il avait été stipulé une clause apportant des restrictions à la liberté d’expression ? Pas certain !