Cette fois, il n’y pas de bus. Mais le football français a décidément un problème avec les grèves depuis quelques années… et les joueurs ne descendront pas du bus le dernier week-end de novembre, parce qu’il n’y aura pas de match. L’Union des clubs professionnels de football (UCPF) a voté une grève contre le projet d’instauration de la nouvelle tranche d’imposition à 75% pour les salaires supérieurs à 1 million d’euros par an. Les éléments de langage donnés aux présidents préfèrent évoquer une journée blanche. Une formulation destinée à calmer l’incompréhension suscitée par l’annonce. Aux Etats-Unis, on parlerait de lock-out puisque la décision vient des propriétaires. Mais en France, les stades, qui appartiennent aux municipalités, seront tout de même ouverts pour l’occasion afin de dialoguer avec les supporters. Il y a quelque chose d’ironique dans cette taxe à 75% puisque les trois quarts des clubs de Ligue 1 ont un ou plusieurs salariés rémunérés plus d’un million d’euros par an. Les trois quarts…
On souhaite bien du courage aux salariés des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 présents le week-end du 29 novembre au 2 décembre prochain. Aucun match (de la 15e journée de Ligue 1 et de la 16e journée de Ligue 2) n’est prévu durant ce week-end qui entrera dans les annales, si cette décision est confirmée. Au cours de cette journée blanche les stades seront pourtant ouverts au public, des animations seront organisées par les clubs pour expliquer pourquoi le football français ne joue pas. C’est-à-dire démontrer comment un secteur qui génère un milliard d’euros par an n’est finalement pas aussi riche que ça et qu’il perd de l’argent. Beaucoup d’argent. Un peu plus encore lorsqu’il faudra reprogrammer en semaine les matches non disputés. Mais ça, c’est une autre histoire.
La taxe va entraîner un déficit de 50 millions d’euros, pronostique Bernard Caïazzo, vice-président de l’UCPF et président de Saint-Etienne. Avec la baisse des droits télévisés, on va vers un déficit de 200 millions d’euros. Aujourd’hui on condamne les clubs à chasser leurs meilleurs joueurs ou à déposer le bilan, argumente l’UCPF. Les justifications ne prennent pas. Elles sont incohérentes et inaudibles. A Lyon, Jean-Michel Aulas, qui aimerait sans doute se débarrasser de Yoann Gourcuff et de son encombrant salaire, ne monte pas en première ligne cette fois, mais il peste lui aussi contre cette taxe. Cette taxe est de nature à menacer un projet comme le grand stade de Lyon pour l’Euro 2016, car, quand l’imprévisible arrive comme cette taxation , vous mettez les banquiers en rogne, assure le président de l’Olympique Lyonnais. Le secteur professionnel voulait un plafonnement de cette taxe ? Il l’a obtenu (5%), mais il s’aperçoit que l’idée favorise le Paris SG. Principal contributeur attendu avec un montant estimé de plus de 20 millions d’euros de taxe, le PSG réaliserait une économie de 24 millions d’euros grâce au plafonnement ! Désormais, le message est on pénalise les plus pauvres.
Les problèmes structurels du football révélés
L’agitation rappelle les soubresauts observés lors de la suppression du droit à l’image collective (DIC) en 2010. Là aussi, on parlait de mort du secteur professionnel. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la suppression du DIC ou l’instauration d’une nouvelle tranche d’imposition à 75% soulignent surtout les problèmes structurels du football français. Ce sont les mêmes que la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) met en exergue chaque année dans son rapport. Les revenus dépendent trop des droits télévisuels, à hauteur de 60 % en moyenne, or ils baissent en ce moment. Le taux de fréquentation des stades est insuffisant. Quant au merchandising, les clubs ne parviennent pas à transformer leurs spectateurs en consommateurs. Au niveau du marketing sportif, ce sont les expédients qui font vivre les clubs : ici on brade aux enchères un emplacement vide, là on espère nouer une relation de confiance avec une marque avec le dos du short qui n’était pas exploité. On empile les marques, mais on se garde de proposer une politique attractive pour développer l’activité de son partenaire.
L’opinion contre les clubs
François Hollande a accepté de recevoir les clubs jeudi 31 octobre, mais il a beau jeu de rappeler que la règle est la même pour tous. L’immense majorité des supporters se disent favorables à cette mesure. A 85 %, selon une enquête Tilder-LCI-OpinionWay publiée tout de suite après l’annonce du coup de force des clubs. Ils sont tout aussi nombreux (83 %) à considérer qu’une grève des clubs professionnels afin de marquer leur opposition à la taxe est injustifiée, selon la même étude. Pour relever l’image du football, il y avait sans doute mieux à faire.
La petite voix de Guingamp
Il y a bien quelque chose d’ironique dans cette décision de chômer une journée de championnat. Dans l’unité de façade affichée par les clubs, tandis que le syndicat des clubs adresse une Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République, Guingamp (soumis à la taxe à hauteur de 500.000 euros environ), a considéré la forme prise par ce mouvement comme inadaptée. Tiens, donc. Guingamp est le club dont a été longtemps dirigeant Noël Le Graët, aujourd’hui président de la Fédération française de football (FFF), ancien maire socialiste de la ville.