Après Festina en 1998 et Tiger Woods il y a quelques mois, l’équipe de France de football gagne à son tour sa place au panthéon des plus grands scandales de l’histoire du sport. Le psychodrame des Bleus lors de la Coupe du monde en Afrique du Sud dépasse les précédents car il touche le football, le sport-roi. Les conséquences économiques de cet événement seront grandes. Tentative d’état des lieux.
Le divorce est consommé. L’équipe de France a tout perdu en Afrique du Sud. Ses supporters, le crédit qu’on lui accordait et le soutien de quelques partenaires. Lorsque la tempête se sera calmée, les premiers reviendront et lui pardonneront volontiers des écarts incroyables à ce niveau. Rien n’est moins sûr pour les seconds. La Fédération française de football (FFF) a sans doute réussi un coup de génie en renvoyant sa politique marketing avant la Coupe du monde. Ses contrats sont sécurisés jusqu’en 2014. Il n’y a donc pas péril en la demeure pour les finances de la première fédération sportive de France (2 millions de licenciés). En revanche, il faudra à la 3F de la patience, de l’humilité, celle d’avouer avoir fait fausse route depuis des années par exemple, et des trésors d’ingéniosité pour renouer le contact avec son public. Et avec ses partenaires actuels qui lui demanderont de rendre des comptes en s’expliquant sur le pourquoi d’un tel dérapage aussi incontrôlé.
On le sait aujourd’hui, l’équipe de France de Raymond Domenech n’a pas réussi à se faufiler par la petite porte vers les huitièmes de finale, le minimum qu’on pouvait attendre d’une nation classée neuvième mondiale à la FIFA. La France, comme en 2008, quitte la compétition dès le premier tour en ayant montré son plus mauvais visage. Un rapport de l’UEFA réalisé après le dernier Championnat d’Europe des nations classait la France au quinzième rang (sur seize) pour son comportement lors de la compétition. Ses entraînements à huis clos, son absence de communication et son attitude avaient agacé au plus haut point. Difficile d’imaginer que la France n’hérite pas cette fois du bonnet d’âne.
Une communication non maîtrisée
En Afrique du Sud, l’équipe de France a fait la même chose, mais en pire. La presse internationale, qui n’attendait que ça après la qualification houleuse contre l’Irlande et la main de Thierry Henry, est tombée sur la France avec une enclume. Comme souvent, les médias anglo-saxons ont été les plus féroces. Les plus imaginatifs aussi. Mais comment leur donner tort lorsque des internationaux se comportent comme des gamins aussi mal élevés ? Défendre l’équipe de France, c’est vouloir endosser le costume de Jacques Vergès. En Afrique du Sud, les Bleus ont tout fait à l’envers. Pas leur sélectionneur qui est resté sur sa lancée du n’importe quoi. Raymond, comment trouvez-vous Patrice Evra ? a demandé un confrère à Raymond Domenech lorsque l’ambiance n’était pas encore totalement pourrie. Dans sa chambre, lui a répondu l’impayable Raymond. Hilarant. Pas une seule fois, la Fédération française de football n’a réussi à maîtriser la communication autour des Bleus. Avec habilité, Rama Yade, secrétaire d’Etat aux sports, s’est engouffrée dans une brèche qui ne demandait qu’à être ouverte en lançant la polémique sur l’hébergement des Bleus. La FFF avait beau jeu de rappeler que celui-ci était pris en charge par la Fédération internationale de football (FIFA), tout le monde s’est demandé pourquoi les Bleus n’ont pas choisi un lieu moins ostentatoire et moins coûteux afin de dégager des subsides supplémentaires pour le football amateur. Bis repetita avec l’annonce du financement d’un terrain de football dans un township de Knysna. Les 100.000 euros investis dans l’opération ont été balayés par les 240.000 euros rapportés par le journal Le Parisien pour le séjour de quatre jours des campagnes des joueurs en Afrique du Sud.
Les éléments se sont également ligués contre l’équipe de France. Le contraste était saisissant avec les autres délégations et notamment celle voisine du Danemark qui ouvrait volontiers ses portes. Pendant ce temps, les Bleus se renfermaient sur eux-mêmes, craignant on ne sait quoi. Et pour le seul entraînement ouvert au public lors de la première semaine de compétition, c’est la pluie qui a douché l’enthousiasme des spectateurs présents.
Deux jours de carnage
Tout est allé de mal en pis au cours de cette Coupe du monde. Jusqu’à ce week-end hallucinant, et qui fera date, avec la Une de L’Equipe sur les injures qu’auraient proférées Nicolas Anelka à l’encontre de son sélectionneur ; son renvoi du groupe France ; la grève des joueurs, partis en chasse du traître, après une mise en scène grotesque ; la colère du préparateur physique (Robert Duverne) ; la lecture d’un communiqué trop bien écrit pour être né du cerveau des joueurs par Raymond Domenech en personne et enfin, la démission d’un cadre de la Fédération française de football (Jean-Louis Valentin) qui craque complètement.
Face à un spectacle aussi affligeant, le président de la République, Nicolas Sarkozy, est intervenu pour demander à sa ministre de la Santé et des Sports, Roselyne Bachelot, de remettre de l’ordre dans ce grand capharnaüm.
Crédit Agricole, Carrefour et les autres
Dans un tel contexte, que pouvaient faire les partenaires ? Fermer les yeux et se boucher les oreilles en laissant passer l’orage ? Certains ont réagi à vitesse grand V. Sentant le vent du boulet venir, l’enseigne Quick a stoppé dès samedi ses spots publicitaires avec Nicolas Anelka. Incroyable malchance pour la chaîne de restauration rapide. Sur 23 joueurs, elle a choisi celui par qui le scandale est arrivé parce qu’elle avait déjà travaillé avec lui lors de la Coupe du monde de rugby 2007 en association avec Frédéric Michalak. Si les spots ont été arrêtés dès le samedi soir, les affiches ne pouvaient pas matériellement être retirées aussi rapidement. Prévue pour durer jusqu’au mercredi 23 juin, la campagne d’affichage est donc restée en l’état jusqu’au bout. Sans que l’enseigne ne reçoive d’ailleurs la moindre remarque négative, nous a indiqué sa direction.
Après Quick, qui n’est pas partenaire de la FFF, c’est le Crédit Agricole qui a choisi de stopper le massacre devant le contexte. La banque a décidé le lundi 21 juin l’arrêt anticipé de sa campagne publicitaire télévisée mettant en scène l’équipe de France de football, alors que celle-ci était programmée initialement jusqu’au vendredi 25 juin. Une action ô combien symbolique, puisqu’il agît ici de l’un des principaux partenaires du football français à qui la fédération demande un ticket d’entrée de 2,5 millions d’euros par an. Le groupe bancaire avait déjà fait évoluer son spot publicitaire, diffusé à la mi-temps des matches des Bleus, en remplaçant son slogan On a tous un côté Bleus par On a tous un côté foot.
Adidas, qui sera remplacé à la fin de l’année par l’Américain Nike, a choisi de ne rien changer. Adidas continuera à activer le volet France de sa campagne internationale jusqu’à la fin de la présence des Bleus dans la compétition, a fait savoir l’équipementier sportif allemand. Adidas rappelle en outre qu’en tant que partenaire de la Coupe du Monde en Afrique du Sud, il n’a pas prévu de modifier sa communication en France. Néanmoins, la marque s’avoue consternée et attristée de voir la tournure des événements. Le communiqué du service de presse met la pression sur les acteurs du psychodrame de Knysna, appelant au sens des responsabilités des dirigeants de la Fédération, du staff technique et des joueurs.
Pas de changement non plus pour Carrefour qui distribue des millions de magnets à l’effigie des joueurs. Le distributeur nous a précisé renouveler son soutien à l’équipe de France pour la suite de la compétition et ne pas modifier son dispositif. Carrefour rappelle également être partenaire du football amateur depuis plus de dix ans dans les bons comme dans les mauvais moments.
Chez GDF-Suez, le ton est différent et le verdict sans appel. Nous allons examiner l’ensemble des lignes du contrat qui nous lie à la FFF jusqu’en 2014 et à la Coupe du monde au Brésil pour voir ce que nous pouvons dénoncer. Les choses sont claires : Nous ne pouvons laisser les choses en l’état. Ce qui s’est passé est trop grave. Sur 100 euros que nous versons à la FFF, il faut savoir que 70 euros vont au sport amateur, et nous sommes très engagés dans des associations comme Un but pour l’emploi. Mais là, ce n’est plus possible, l’équipe de France donne une image trop dégradée du sport. Et le fournisseur d’énergie de s’emporter : Nous sommes ulcérés par ce qui se passe. C’est un manque de respect pour tout le monde. C’est incroyable. Du jamais vu!
Conséquence de cette révolte des sponsors, les Bleus se sont entraînés le lundi matin avec des survêtements bleus vierges de tout sponsor. Seul le logo Adidas, apparaissait.
Comme nous l’a confirmé Bruno Lalande, Directeur de Kantar Sport (ex-TNS Sport), il est trop tôt pour juger des conséquences à venir de la telenovela des Bleus. Selon ce spécialiste du marketing sportif, les marques impliquées ne devraient pas souffrir de ces événements. Elles n’agissent pas directement avec les joueurs, juge-t-il. Leur stratégie de construction d’image est d’abord bâtie sur le long terme. En revanche, il est certain que c’est une crise dont on aurait pu se passer. C’est au niveau des dommages collatéraux que les premiers effets vont se faire sentir. L’épisode ne sera pas neutre pour les paris en ligne. Une équipe de France éliminée et décrédibilisée c’est également une perte encore plus importante pour un acteur comme TF1 qui a lourdement investi sur cette Coupe du monde (87 millions d’euros). Pour toute la chaîne des médias aussi, des cafetiers, des vendeurs de pizzas, etc. Bruno Lalande évalue le manque à gagner à au moins 200 millions d’euros. Mais tous n’auront pas perdu. En pariant sur la défaite des Bleus, l’enseigne Saturn a réalisé un superbe coup médiatique. Elle aura profité de la Coupe du monde pour augmenter ses ventes de téléviseurs, et gagner en notoriété en promettant de rembourser les acheteurs si les Bleus devenaient champions du monde…
A plus long terme, les conséquences pourraient se chiffrer millions d’euros pour d’autres acteurs. Le secteur professionnel, en particulier, devrait payer la note. Alors que la manne des droits de retransmission est appelée à baisser, que les recettes liées aux transferts de joueurs ont amorcé une décrue, les clubs professionnels devront convaincre les partenaires de continuer à investir dans une discipline qui renvoie la plus mauvaise des images. Ce qui pourrait être un mal pour un bien en définitive. Les clubs détiendraient là un moyen de pression unique pour rappeler leurs joueurs à la raison en stoppant la folle envolée des salaires. Ce serait, en quelque sorte, un juste retour des choses. Les joueurs professionnels récolteraient ce que leurs confrères en bleu ont semé à Knysna.