Antoine Tremblot, président de l’agence de design LeroyTremblot qui compte parmi ses clients les plus prestigieuses marques et institutions sportives en France, nous livre les clés de la conception d’un maillot de football et décrypte la nouvelle tunique conçue par Nike pour l’équipe de France.
Est-ce compliqué de concevoir un maillot de football ? Quels sont les obstacles qu’un créatif peut rencontrer ?
Les contraintes sont finalement assez réduites. D’où une liberté importante laissée au créatif. Un maillot de football doit répondre aux intérêts conjugués de l’équipementier, du, ou des, partenaire(s) maillot et du club. Avant toute chose, il faut veiller à la lisibilité des numéros, à la typographie utilisée pour les noms des joueurs au dos des maillots. Le cahier des charges est le fruit d’une négociation entre l’équipementier, le club et le partenaire. La notoriété d’une équipe joue lors de ces négociations. Elle peut limiter la mainmise de l’équipementier sur le style et la coupe du maillot. La Fédération française de football est un cas particulier. Exception faite de l’équipementier, elle n’a pas de partenaire à afficher sur son maillot comme un club. La contrainte particulière pour l’équipe de France concerne en premier lieu la cohérence du maillot avec le drapeau national.
La présence d’un partenaire ne vient-elle pas perturber l’esthétique générale du maillot. En particulier lorsqu’un club multiplie les sponsors ?
Lorsque le partenaire est une marque valorisante, le public a envie de porter ce maillot. Avoir PlayStation sur la poitrine apporte un plus par la qualité de son logo et les valeurs véhiculées par la marque. D’une manière générale, plus le maillot est épuré, plus il est valorisant.
Avez-vous constaté une évolution graphique du maillot de football ?
Historiquement, le maillot a d’abord été fait pour le joueur. La médiatisation a changé la donne avec l’apparition de la télévision et la diffusion des matches. En noir et blanc, il était difficile de distinguer certaines équipes. La réglementation sportive a aussi influé l’évolution des équipements pour permettre aux arbitres d’identifier plus facilement les joueurs de chaque équipe. Ensuite, les équipementiers se sont aperçus que les spectateurs achetaient leur maillot pour se l’approprier. Avec le développement du merchandising, le maillot de football est devenu plus esthétique. Désormais, on le porte à l’extérieur des stades et plus uniquement les jours de match.
Que peut-on dire sur le maillot de l’équipe de France réalisé par Nike ?
Nike a franchi un palier avec le maillot de l’équipe de France. La couleur bleue sélectionnée lui donne un côté vintage. C’est le maillot de Raymond Kopa revisité avec les technologies d’aujourd’hui. Il n’est plus identifiable par son sport. Nous ne sommes plus du tout dans la préoccupation du pratiquant du départ. Nous sommes dans une configuration mode. Le nouveau maillot des Bleus est facilement portable en dehors des matches de l’équipe de France.
Est-ce une tendance ?
Nous assistons à une fusion entre le sport et la mode. Lors de leur prise de parole, les marques de sport utilisent les mêmes codes que les marques de sportswear. C’est la mode qui entre sur le territoire du sport et influence le sport désormais.
Nike a-t-il fait un choix artistique ou répond-il à une logique d’investissement ?
Pour un premier exercice, Nike a fait un pari osé. L’argumentation développée par Nike, sur le style, la façon de vivre, est plus proche de la mode que de la technicité. C’est aussi un choix stratégique, une façon de se démarquer de l’équipementier précédent. Avec ce premier maillot, Nike fait monter le football en gamme. Le produit présenté est inattaquable esthétiquement. En revanche, comme emblème de l’équipe de France, le nouveau maillot manque de contenus.
En quoi serait-ce un problème ?
L’ambition affichée de ventes des replicas dépassent l’enjeu identitaire. Il n’y a pas besoin d’être un passionné de football pour porter ce maillot. On se détache du côté symbolique de l’équipe de France. Cette tunique peut largement déborder son statut de maillot de football. Dans ce cas, Nike aura réussi son pari commercial. Mais en allant vers l’abstraction, il peut aussi ennuyer et donc conduire à l’indifférence s’il reste en place trop longtemps. J’attends avec impatience l’année deux pour constater l’évolution. Je me pose la question : comment revisiter le prochain ?
Emmanuel Frattali